- J-C, le Capitaine Javert veut vous voir, pour… vous savez quoi.
- Faites le venir dans mon bureau. Javert ! Il porte bien son nom celui-là, répond le titulaire à Théo. Ce dernier ne comprend pas l'allusion de son patron, cherchant un jeu de mots entre Javert et la gendarmerie.
La dramatique mais spectaculaire tentative de suicide de Madame Garnereau a déclenché une réaction en chaîne dans laquelle se retrouve malgré elle la Pharmacie du Marché. Une enquête judiciaire est ouverte, une manifestation de soutien est organisée. Et depuis deux jours, les journalistes campent à proximité de l'établissement, cherchant à saisir la moindre nouvelle information. J-C et Karine se passeraient bien de cette mauvaise publicité même si elle se traduit par un doublement de l'affluence, et ce malgré le couvre-feu à 18 h 00.
Dans la pharmacie, l'affaire bouleverse la population, reléguant l'épidémie de Covid au second plan. Habitués ou clients de passage, tous ont leur mot à dire ; quand certains font preuve de bienveillance, d'autres au contraire accusent les mesures sanitaires qui pèsent sur les Français depuis plusieurs mois et qui exacerbent, selon eux, les fragilités psychiatriques. Si chacun y va de son interprétation, aucun d'entre eux ne sait vraiment ce qui a poussé Madame Garnereau à faire ce geste.
Karine, la titulaire de la pharmacie, a accepté un rendez-vous avec une psychologue de l'hôpital, pour parler de cette violente expérience. C'est elle qui a sauvé la vie de Madame Garnereau en éteignant le feu sur le corps de sa cliente. À peine sortie de sa consultation de soutien, Karine est interpellée dans le couloir :
- Madame, euh Dr Dupré ? Le Dr Rivet désire vous voir, si c'est possible pour vous maintenant…
La secrétaire indique la direction à la pharmacienne, surprise. Elle frappe à une porte, et l'ouvre sans attendre la réponse, invitant Karine à entrer dans le bureau.
- Madame Dupré, bonjour. Je vous prie de m'excuser pour ce rendez-vous inopiné. Mais comme j'ai su que vous étiez dans nos locaux, je saute sur l'occasion. Je suis le Dr Valérie Rivet. Et je pense que nous devrions accentuer notre coopération suite au drame que nous venons… Comme vous le savez, c'est moi qui suit Madame Garnereau depuis un an, en remplacement du Dr Gicard.
Karine n'avait jamais rencontré le psychiatre de Madame Garnereau ; elle ne connaît de ce médecin que son nom sur l'ordonnance, sa signature et son écriture.
- Je ne comprends pas ce geste. Et pourquoi devant la pharmacie ?
- À vous je peux le dire. Après tout, vous lui avez sauvé la vie. À propos, elle est toujours dans le coma mais c'est un coma artificiel. Son pronostic vital n'est plus engagé.
Karine pousse un soupir de soulagement. La médecin la regarde, et lui sourit derrière son masque :
- Madame Garnereau est venue récemment en consultation, ici. J'ai noté que son état psychique s'était dégradé, mais elle a refusé d'être hospitalisée. J'ai donc modifié son traitement.
Elle s'arrête, respire, puis reprend :
- La TS par immolation est une forme violente, mais c'est surtout un moyen d'expression, si je puis dire cela comme ça. Madame Garnereau ne tient que par son métier, son petit restaurant comme vous le savez. Depuis 9 mois, on lui a pris cette bouée.
- Mais pourquoi devant la pharmacie ?
- La pharmacie est un symbole de notre système sanitaire, un système qui selon elle n'est plus à la hauteur, ne l'aide plus. Elle a voulu le dénoncer, sous la croix verte. Vous et nous devons travailler plus étroitement, pour éviter d'autres drames…
(À suivre…)