De toute évidence, la décision de l'ANSM, effective le 15 janvier dernier, de retirer du libre accès les spécialités administrées par voie orale à base de paracétamol, ibuprofène et acide acétylsalicylique, n'a pas freiné les ventes du segment majeur de l'antalgie de niveau 1 en pharmacie.
Le paracétamol, qui occupe 85 % du marché en volume (IQVIA), aurait même gagné plusieurs points de janvier à mai derniers (source fabricants). Une hausse qui repose essentiellement sur les conséquences de l'épidémie de Covid-19 et qui s'est imposée malgré des circonstances aux effets contrastés, tantôt favorables, tantôt défavorables au marché. « Un double phénomène a engendré une croissance de la demande d'antalgiques à base de paracétamol, explique Anne-Sophie Tassel, chef de groupe Antalgie de l'entité Santé Grand Public chez Sanofi France. Pendant un temps, l'ibuprofène a été suspecté d'aggraver les symptômes du Covid-19 et, malgré les études démontrant le non-sens de ces suspicions, une partie des ventes de ce segment s'est reportée sur le paracétamol. » À la rumeur, s'est ajoutée la peur de manquer. « Juste avant le premier confinement, les patients chroniques ont renouvelé leur ordonnance de paracétamol. » Le phénomène s'est amplifié sous l'effet des ventes d'automédication répondant à un réflexe de stockage, le tout contribuant à créer un pic dans les demandes. « Les trois jours qui ont précédé le confinement, 6 millions de boîtes de Doliprane ont été délivrées. »
Une chute compensée
Cette démesure a poussé le gouvernement à prendre des décisions drastiques, en ordonnant de limiter la délivrance en automédication à partir du 17 mars, restriction prolongée jusqu’au 10 juillet 2020. Cette décision a sans doute désamorcé la menace d'une rupture de stocks chez les laboratoires fabricants, mais elle n'a pas favorisé un marché alors en butte à un autre phénomène. « La forte baisse des consultations durant le confinement a entraîné une chute des prescriptions, notamment de paracétamol qui a alors momentanément régressé de 12 %. » Une conséquence qui aurait pu affecter la gamme Doliprane dont la prescription assure 80 % de son chiffre d'affaires. « La reprise des consultations depuis juillet a compensé cette perte et les ventes ont retrouvé leur cours habituel, qu'elles résultent de la consultation ou de l'automédication. »
La gamme, il faut le dire, présente une variété certaine en termes de dosages (100 mg à 1 g), permettant d'adapter les traitements, mais aussi en matière de galéniques (suspension buvable en flacon et en sticks, sachet à diluer, comprimé effervescent, forme sèche, gélule, forme orodispersible, suppositoire), des atouts importants aux yeux des prescripteurs et des patients. « Les formes liquides, à diluer ou effervescentes sont bien adaptées aux personnes âgées qui ont des difficultés à avaler et qui ont souvent besoin d'un apport en eau supplémentaire. Les comprimés et gélules constituent le cœur de nos références pour adultes. Quant aux plus petits, la gamme dispose d'un ancrage historique sur le segment de la pédiatrie avec la suspension buvable. » D'autres fabricants proposent une offre élargie, comme Upsa qui présente sa nouvelle gamme Dafalgan non remboursable forte de trois références (les gélules DafalganCaps 500 mg et 1 000 mg et un comprimé pelliculé DafalganTabs 1 000 mg). À ses côtés, la gamme Efferalgan reste inchangée. Mais le segment majeur de l'antalgie abrite également des associations à base de paracétamol tel Prontadol (paracétamol, caféine) chez IPSEN Pharma.
L'ibuprofène et l'aspirine, aux propriétés anti-inflammatoires, sont les deux autres principes actifs couramment utilisés en tant qu'antalgiques de niveau 1. On les trouve dans des gammes comme Nurofen (Reckitt Benckiser Healthcare), Spedifen (Zambon), Advil (GSK Santé Grand Public), Upfen (Upsa) ou Intralgis (Urgo Healthcare) pour l'ibuprofène, dans des spécialités comme Aspégic (Sanofi Aventis), Alka-Seltzer, Aspirine du Rhône, Aspro (Bayer Healthcare), Aspirine Upsa (Upsa) pour l'aspirine. Segments modestes comparés à celui du paracétamol, ils affichent tous deux une évolution négative, plus marquée dans le cas de l'ibuprofène.
Forte saisonnalité
Sous leur forme topique – gel/crème, patch/emplâtres, les AINS représentent un autre segment important du marché de l'antalgie. Voués à agir localement sur les douleurs résultant de traumatismes bénins - entorses, foulures, contusions, les douleurs tendinoligamentaires ou liées à l’arthrose, ils sont souvent formulés à base de diclofénac (75 % en volume – source fabricants) ou d'ibuprofène. Dominé par les laboratoires GSK Santé Grand Public et Genévrier (Flector Effigel, Flector Tissugel) - que secondent Niflugel (Upsa), Nurofenplast (Reckitt Benckiser), Advilgel (GSK)… - ce segment a également supporté les conséquences du confinement, comme l'explique Noémie Cadillat, chef de produit au sein des Laboratoires Urgo : « Entre janvier et septembre derniers, les AINS par voie topique (à prescription médicale facultative) ont perdu 6,5 % en valeur et 9 % en volume. » En cause, la baisse de fréquentation des officines, entraînant un retrait des investissements réalisés par les grandes marques dans les médias. « Le premier confinement s'est opéré à une période de forte saisonnalité pour nos produits. Mars et avril sont en effet les mois où l'activité sportive et les compétitions reprennent avec leurs lots de complications articulaires et de chutes. Le printemps et l'arrivée des beaux jours représentent une saison où les ventes de pommades et emplâtres antidouleur connaissent un pic. »
Et on ne sait pas si la reprise amorcée en septembre et octobre pourra porter ses effets. Urgo, en tout cas, l'aura anticipée en lançant dès le mois d'août un emplâtre dosé à 140 mg de diclofénac qui vient seconder deux gels (1 % de diclofénac, 5 % d'ibuprofène) à visée anti-inflammatoire. « L'emplâtre comporte deux avantages : son dosage ne dépend pas de l'utilisateur et il peut rester en place pendant 12 heures sans que l'on ait à le renouveler. Le gel, plus couramment utilisé, doit être appliqué 3 fois par jour. » Quant aux conséquences du second confinement sur le marché, GSK remarque que « la dynamique est très différente par rapport à la première vague puisque nous observons une forte croissance des ventes de la gamme Voltarène, +20 % sur la dernière semaine d’octobre par rapport à la même semaine en 2019. Il semble donc y avoir eu un effet de stockage ». Le laboratoire souligne par ailleurs son esprit d'innovation à l'œuvre dans les emplâtres médicamenteux VoltarenPlast d'une épaisseur de seulement 1 mm et le gel VoltarenActigo 1 % conditionné en tube applicateur pour éviter le contact avec les doigts.