« Il y a 10 ans que je cherche ! » Déçu, mais pas abattu, Antoine Boisseau, pharmacien à Sauternes (Gironde), poursuit sa quête de médecin pour son village de 800 habitants. Ironie du sort, ce fils de pharmacien* a longtemps rejeté ce métier : « La pharmacie de mon père était dans notre maison, j’y passais tout mon temps, j’y faisais mes devoirs… et je m’étais juré de ne jamais devenir pharmacien », se souvient-il. Mais, une fois en terminale, il hésite et opte pour… pharmacie ! : « C’était un peu un choix par défaut. Je ne savais pas quoi faire, je connaissais peu de métiers », avoue-t-il.
À la fac de Bordeaux, il apprécie à la fois la vie étudiante et les études « hyper intéressantes ». L’été, il travaille en officine : Langon, Lacanau, île de Ré, et Bordeaux, où il rencontre un maître de stage « formidable » qui lui insuffle la passion du métier. Et quand son père annonce sa retraite, Antoine Boisseau quitte le soleil de Nouvelle Calédonie où il exerce, pour rentrer à Sauternes et reprendre l’officine familiale.
Une question de survie
Il s’installe en 2008, achète un terrain, construit un centre de santé et transfère sa pharmacie en 2011 : « Une question de survie, souligne-t-il, car j’étais seul avec l’unique médecin du village, proche de la retraite. » Au fil des ans, il recrute une dizaine de professionnels de santé** et un généraliste. Mais cela ne suffit pas. Pour pérenniser son officine, il cherche à attirer d’autres médecins. Pendant dix ans, il essaie toutes les méthodes. Le publipostage (mailings) auprès des professionnels de santé de la région parisienne coûte cher et ne donne pas de résultat (sauf un dentiste). L’animation du profil Facebook du centre de santé lui amène des paramédicaux, mais pas de médecin. Il multiplie les rencontres : étudiants en médecine, médecins du secteur, maîtres de stage, remplaçants, conseil de l’Ordre, maire, président de la communauté de communes, et même président du conseil départemental… Sans succès. « J’ai compris qu’il ne faut attendre d’aide de personne, car toutes les communes sont en concurrence », indique-t-il. Pourtant Sauternes est en ZRR***, ce qui constitue un atout fiscal certain…
En 2021, le généraliste du centre de santé s’en va. Ne reste que le médecin du village, pas encore parti à la retraite. La recherche d’un nouveau généraliste devient cruciale, mais difficile en période de pandémie, dans une pharmacie qui vaccine jusqu’à 60 patients/jour…
Médecine low cost
À 42 ans, Antoine Boisseau ne baisse pas les bras. Son centre médical tourne bien ; il a recruté une pédiatre. Faute de généraliste, il envisage une cabine de téléconsultation : « C’est tentant, mais c’est un peu de la médecine low cost. On laisse les médecins en ville et on se connecte par écran… Triste solution. » Plaidant pour l’augmentation du numerus clausus, il pointe les dérives du système : « Les déserts médicaux poussent chacun à augmenter ses compétences, les infirmières font le travail du médecin, les sages-femmes celui du gynéco… mais pour le même prix ! La pénurie de médecin provoque une baisse du niveau. Une vraie concurrence entre eux le ferait monter et ferait revenir les généralistes en campagne. »
Marié à une infirmière libérale, et père de trois enfants, Antoine Boisseau donne tout son temps à sa famille, son officine**** et sa quête de médecin : « Il ne faut pas avoir peur de sortir de son officine, prendre son bâton de pèlerin, rencontrer des gens en face-à-face, comme je l’ai fait pour trouver un boulanger. La commune n’en avait plus, j’ai visité les meilleures boulangeries de Bordeaux, rencontré un ingénieur en reconversion professionnelle. Il est venu à Sauternes deux jours après, et y a ouvert sa boulangerie. » Puisse sa persévérante énergie lui amener aussi un généraliste.
* Son père reprend la pharmacie de Sauternes en 1972.
** Ostéopathe, infirmières, podologues, dentiste, orthophoniste, sage-femme, sophrologue, réflexologue, ergothérapeute, pédiatre.
*** Zone de revitalisation rurale.
**** Son officine emploie dix personnes, dont deux pharmaciens (titulaire et adjoint).