La position de l’adjoint se caractérise par cette double polarité : il est à la fois un subordonné et un confrère. Le lien de subordination résultant du contrat de travail place automatiquement l’adjoint sous l’autorité et les directives du titulaire.
La Cour de cassation considère que l’insubordination peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave selon les circonstances qui l’entourent. Quant au lien de confraternité, défini à l’article R.4235-35 du code de la santé publique, il fixe les bornes relationnelles et le comportement à respecter entre « pairs » : « les pharmaciens doivent traiter en confrères les pharmaciens placés sous leur autorité ». Cette notion déontologique de « confraternité » n’a cependant pas pour effet d’atténuer le lien de subordination. Si les principes semblent clairs, dans certaines situations, des tensions peuvent apparaître. Ainsi, Antoine* a déchanté dès son stage de 6e année : « Le titulaire renouvelait des prescriptions d’hypnotiques au-delà des limites autorisées. Il dérogeait à la législation et ce devait être la norme dans sa pharmacie ». Parce qu’il n’avait pas le mode d’emploi pour dire « non », l’étudiant en pharmacie était poussé à la faute. « Mon maître de stage me donnait un ordre, je l’exécutais, même si c’était en totale contradiction avec mes valeurs de probité et de conscience professionnelle. »
Des liens qui créent des nœuds
Même constat partagé par Joséphine*, malgré son expérience d’adjointe confirmée et ses nombreuses heures de remplacement au compteur. « J’ai travaillé dans des pharmacies où du personnel non diplômé servait au comptoir, sur décision du titulaire. C’est une situation très difficile à gérer. En tant que pharmacien, on se sent complice d’une telle entorse aux règles de délivrance. Et en même temps, nous travaillons sous l’autorité du titulaire. Comment contester le choix assumé de l’employeur ? » C’est là tout le dilemme des pharmaciens adjoints qui se sentent coincés entre le lien de subordination inhérent au contrat de travail et leur indépendance professionnelle expressément inscrite dans le code de la santé publique. Alors, où placer le curseur ? « L’indépendance professionnelle ne place pas l’adjoint à égalité avec le titulaire. L’adjoint n’est pas un co-associé, il reste un salarié », répond l’Ordre des pharmaciens. Principale conséquence, l’adjoint ne peut pas s’opposer à une demande qui cadre avec l’organisation de l’officine, il doit suivre les instructions de son titulaire. Sauf, comme dans le cas de Joséphine et Antoine, s’il existe un motif légitime de refus.
Le pouvoir de direction n’est pas absolu
L’obligation de loyauté et d’obéissance conférée par le contrat de travail a des limites. Notamment lorsque le titulaire impose à ses collaborateurs d’enfreindre la législation. « L’adjoint est tenu de refuser toutes instructions contraires aux prescriptions du code de la santé publique. Il ne doit pas perdre de vue qu’il engage dans ses actes sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire », explique Me Guillaume Fallourd, avocat à Chartres. En cas de dommage causé au patient-client, celui-ci pourrait se retourner contre l’adjoint qui a sciemment accepté d'enfreindre la réglementation. « Se retrancher derrière le rapport hiérarchique pour s’exonérer de sa responsabilité n’est pas un bon calcul, prévient Guillaume Fallourd, il est plus risqué pour un adjoint de dévier des textes et de commettre une infraction, avec les conséquences que cela peut impliquer, que de dire non à son employeur lorsque cela est justifié. » Toutes les situations de désobéissance ne constituent pas nécessairement une insubordination pouvant légitimer une éviction définitive du salarié.
Formaliser pour se protéger
Mais, en pratique, s’opposer au titulaire peut vite tourner à l’incident diplomatique. Joséphine se souvient avoir refusé de renouveler une ordonnance de Stilnox, « j’ai tenu tête poliment mais fermement à mon titulaire. Il ne s’est pas privé de me rappeler qui était le patron ». L’adjointe regrette cet échange, « ma résistance a été prise pour de l’insolence. Je me suis même demandé si je n’avais pas pris le risque de perdre mon poste ». Lionel Jacqueminet, avocat à Paris, désamorce cette crainte : « Un licenciement fondé sur le refus du salarié d’exécuter un ordre illégal n’a aucune chance d’aboutir. L’adjoint(e) aurait toute latitude pour le contester devant les prud’hommes et également déposer une plainte ordinale, laquelle serait suivie d’une instruction pour examiner les pratiques du titulaire. » Avant d’arriver à ce point de non-retour, Guillaume Fallourd conseille de prendre les devants et d’acter les faits par écrit dès qu’ils surviennent, « si les manquements du titulaire exposent l’adjoint, qui pourrait voir sa responsabilité engagée, un bon moyen de se protéger est d’exprimer son désaccord par écrit ». Lionel Jacqueminet préconise également ce formalisme, « l’idéal étant de conserver une trace de l’envoi et de la réception ». Le cas échéant, l’adjoint pourra ainsi facilement rapporter la preuve qu’il a fait le nécessaire pour ne pas céder à des pratiques en contravention avec des règles impératives.
Les nouvelles missions
Le champ d’action des pharmaciens s’amplifie avec les nouvelles missions à l’officine. Vaccination antigrippale, TROD angine, etc. Là aussi se pose la question des alternatives dont dispose l’adjoint. Si le titulaire souhaite s’engager dans ces nouvelles missions, quelle doit être l’attitude de l’adjoint ? Peut-il refuser de pratiquer de tels actes ? S’il refuse, risque-t-il d’être sanctionné ? S’agissant de la vaccination antigrippale, c’est une mission facultative pour tous les pharmaciens. « Si l’adjoint ne souhaite pas s’impliquer, le titulaire ne peut ni le contraindre, ni le sanctionner », souligne Hélène van den Brink, professeure de droit pharmaceutique à l’université Paris-Sud. Phobie de l’aiguille, réticence à effectuer un geste médical invasif, peur d’engager sa responsabilité, peu importe la raison : l’adjoint n’est pas tenu se justifier pour que son refus soit valable, même si ce « non » pique l’employeur. Dans le cas des TROD, un texte réglementaire doit préciser les modalités opérationnelles. On peut déjà parier que ces questions seront soulevées sur le terrain. Pour éviter les sources de litiges, « il sera important que le titulaire définisse précisément dans le contrat de travail, ou dans une fiche de poste, le cadre des missions de l’adjoint », recommande Hélène van den Brink. Car un salarié qui refuse d’effectuer une tâche ou une mission qui ne relève pas de ses compétences et attributions ne peut être sanctionné pour insubordination.
* Les prénoms ont été modifiés.
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