LORS des procédures récentes qui ont opposé à Colmar Leclerc à deux groupements de pharmaciens et un syndicat, ce grand distributeur a prétendu qu’il n’existe pas de réelle concurrence entre officines pour justifier sa publicité en vue de vendre des médicaments non remboursés. À tort, certes, mais attention, en matière d’affichage vitrines, les décisions des Conseils de l’Ordre peuvent constituer une entorse aux règles de concurrence. Avertissement, blâme, interdiction temporaire d’exercer, les sanctions sont légion. Pourtant, s’il est indispensable que le pharmacien fasse preuve de délicatesse dans sa communication, bien malin qui sait à partir de quelle taille l’affichette, à partir de quelle force le qualificatif (prix promo, prix bas, etc.) ne respectent plus le tact et la mesure exigés. L’examen du contexte factuel et juridique montre un réel problème tant de cohérence que de libre concurrence. Il doit inciter les Ordres à faire évoluer leur jurisprudence.
1- DIFFICILE APPRÉCIATION DU TACT ET DE LA MESURE
La communication sur les prix est une règle économique intégrée par tous. Limiter l’information sur les prix revient à léser le consommateur et à fausser le climat concurrentiel. Les pharmaciens doivent se plier à la règle sur leurs vitrines. Toutefois, les Conseils de l’Ordre ont en la matière une jurisprudence en dents de scie lorsqu’ils ont à apprécier de l’éventuelle violation de règles de communication en officine. Le plus souvent, leurs décisions visent deux articles du code de la santé publique : l’article R4235-21 qui sanctionne la concurrence déloyale, et l’article R4235-30 qui exige notamment le tact et la mesure dans la publicité.
Difficile tri à réaliser entre une information « normale » du consommateur et celle qui dépasserait le tact et la mesure. La jurisprudence sanctionne la mention d’un prix cassé. Celle d’un prix bas doit-elle être proscrite pour autant ? La taille de l’affichette mentionnant le prix est prise en compte par le juge selon des critères difficiles à appréhender. Cela ouvre la porte localement à des sanctions peu objectives, voire, espérons-le rarement, à des délits de faciès.
Parallèlement, le droit de la concurrence ne doit pas être entravé par la déontologie du pharmacien. Les officines doivent avoir leur place au sein d’un marché concurrentiel. Le code de la santé publique en témoigne.
2- LA MISE EN EXERGUE DE LA LIBRE CONCURRENCE PAR LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
L’article R 4235-59 du CSP dispose que les « vitrines et emplacements ne sauraient être utilisés aux fins de solliciter la clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession », ce « sous réserve de la réglementation en vigueur en matière de concurrence et de publicité ».
Ainsi, le tact et la mesure ne peuvent autoriser la violation du droit de la concurrence. Ce droit a été conçu pour favoriser la concurrence entre tous les professionnels afin de permettre au consommateur d’acheter moins cher. Toutes les mesures qui, directement ou indirectement, s’écartent de cette voie doivent être bannies.
Les principales dispositions en ce sens sont les suivantes :
• Selon l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex-article 81 TCE), sont interdites, « toutes décisions d’associations d’entreprises (…) qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (…), et notamment ceux qui consistent à : a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente (…) ».
• Selon l’article L 410-2 du Code de commerce, les prix des biens, produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.
• Selon l’article L 420-1 du même code, sont prohibées « les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à : 1° Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ; 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ».
Le respect de ces textes est relayé par les exigences des autorités de contrôle.
3 – LA DGCCRF POUR UNE CONCURRENCE PLUS FORTE ENTRE OFFICINES
La DGCCRF a exprimé ses attentes dans une « note bleue de Bercy » relative aux produits pharmaceutiques. Cette autorité stigmatise l’absence de concurrence entre officines dans la vente des médicaments non-remboursables : « Les médicaments non remboursables (…) obéissent aux règles générales de concurrence : leurs prix sont librement déterminés. (…) Le consommateur est encore trop peu informé sur le niveau des prix des médicaments. Ceux-ci ne sont pas à portée de vue, l’affichage des prix reste très lacunaire (…). Ensuite, les pharmaciens d’officine restent très en retrait sur les possibilités d’engager une vraie politique des prix sur ce type de produits, en invoquant à tort des interdictions déontologiques de se faire concurrence. »
L’autorité va plus loin : « Une politique active d’achat par le biais de groupements de pharmaciens leur permettrait d’obtenir de leurs fournisseurs de meilleurs prix et de répercuter ces avantages sur les consommateurs. Ces derniers, grâce à un meilleur affichage des prix et, si besoin, par le conseil de leur pharmacien, sauraient rapidement faire jouer la concurrence. »
Sanctionner un pharmacien parce qu’il communique avec des affichettes plus larges ou des mots un peu forts pour faire connaître ses bas prix constitue à l’évidence une entrave à la concurrence. Ne pas prendre en compte cette réalité est nuisible au consommateur, mais cela peut l’être aussi pour le Conseil de l’Ordre.
4- LA RESPONSABILITÉ DU CONSEIL DE L’ORDRE
Le tribunal de l’Union européenne a, par arrêt du 26 octobre 2010 (affaire T-23/09), qualifié l’Ordre national des pharmaciens « d’association d’entreprises » et a relevé que les pharmaciens « exercent des activités économiques et, partant, constituent des entreprises au sens des articles 81 CE, 82 CE et 86 CE ». En droit français, l’Autorité de la Concurrence a déjà condamné l’Ordre en plusieurs occasions. Ainsi, notamment, d’une décision du 22 avril 2009 (n° 09-D-17) qui a condamné un Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens à 5 000 euros d’amende pour avoir adopté une pratique visant à réserver aux pharmaciens les plus proches des maisons de retraite et des établissements de soins, la fourniture des médicaments et autres produits de soins pour la clientèle de ces établissements. L’intervention de ce Conseil régional avait alors été jugée attentatoire au libre jeu de la concurrence et à l’article L. 420-1 du code de commerce.
La sanction infligée par la Commission européenne au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, le 8 décembre 2010, est édifiante, même si un appel est en cours. Elle l’a condamné pour avoir imposé des prix minimums sur le marché français des analyses de biologie médicale et avoir entravé le développement de groupes de laboratoires sur ce marché. Condamné pour des pratiques anticoncurrentielles, l’Ordre pourrait être condamné pour des décisions disciplinaires anticoncurrentielles, comme y invite cette décision :
- l’Ordre national des Pharmaciens « a systématiquement utilisé ou menacé de recourir à ses pouvoirs disciplinaires si ses injonctions n’étaient pas suivies » ;
- au titre d’une « action en réparation » : « toute personne ou entreprise lésée par des pratiques anticoncurrentielles (…) peut porter l’affaire devant les tribunaux des États membres pour obtenir des dommages-intérêts ».
Les sanctions disciplinaires, voire les seules menaces de sanctions, pour une publicité « normale », au sens des usages généraux en la matière, mais heurtant « le tact », peuvent participer du comportement anticoncurrentiel du Conseil de l’Ordre. La soif de promotion qui dynamise la distribution moderne est aujourd’hui instinctive. À un moment où les publicitaires ne reculent devant rien pour vendre, le tact et la mesure, qui participent de l’essence même de la profession de pharmacien, confèrent aux officines une indiscutable aura. Mais ces qualités ne doivent pas constituer un écran de fumée face à un protectionnisme obsolète. N’enfermons pas cette vieille profession dans ce jus-là, en incitant la grande distribution à être plus invasive.
Le pharmacien doit évidemment être irréprochable sur la justesse de sa communication. Il ne doit pas dénigrer. Il n’a pas droit aux phrases ambiguës, la publicité mensongère doit être appréciée à son égard, au sens le plus large. Il a une obligation de clarté et de transparence renforcée. Dans ce cadre, loyauté, délicatesse et devoir de conseil ne sont pas incompatibles avec une valorisation ostensible des prix promotionnels sur la vitrine. Mieux, n’est-ce pas manquer de tact que de priver d’informer clairement le grand nombre de personnes aujourd’hui en difficulté financière sur les vraies promotions en cours dans les officines ?
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