« LES DOUANIERS se sont présentés bien aimablement, et je m’attendais à ce qu’ils me fassent le catéchisme », raconte Bruno Marlière. En fait de catéchisme, le pharmacien de Frévent (Pas-de-Calais) se trouve menacé d’une « prune » de 15 000 euros pour avoir vendu en trois ans 1 000 litres d’alcool à 90° sans avoir tenu le registre entrée-sortie matières, ni rempli la déclaration préalable de profession. « Je suis dans une honnête moyenne, m’ont rassuré les douaniers, l’amende de certains confrères est parfois trois fois plus lourde », précise Bruno Marlière.
Combien d’officines vont-elles se trouver en graves difficultés depuis que les douanes françaises ont récupéré, en 2010, la compétence des contributions indirectes ? La question semble saugrenue, mais Patrice Devillers, pharmacien à Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas de Calais) et responsable syndical Nord-Pas-de-Calais, estime que 10 à 15 % des 1 600 pharmaciens de sa région seraient touchés par ce zèle nouveau des douaniers. En cause, la vente d’alcool à 90°, en particulier de ces 80 à 90 % de ventes sans trop de rapports avec des nécessités sanitaires ou hygiéniques.
La suppression, le 1er janvier 1999, des quotas de vente d’alcool proportionnés au chiffre d’affaires des officines n’a pas été suivie d’une situation des plus transparentes. Un pharmacien est autorisé à vendre l’alcool pur exonéré de droits à des fins médicales ou pharmaceutiques. Le code général des impôts fixe à 100 litres par an le besoin d’une officine. Au-delà, l’alcool est soumis à une taxe d’accise de 1 514 euros par hectolitre, à moins que les fins médicales ou pharmaceutiques soient attestées. Une comptabilité matières et une déclaration préalable de profession officialisent la pratique vis-à-vis de l’administration.
Possible interdiction d’exercer.
Forts de leur nouvelle compétence, les douaniers avaient commencé leurs contrôles en Rhône-Alpes, notamment en Savoie. Fin mars, début avril, ce fut le tour du Nord-Pas-de-Calais, en particulier les bassins de l’Avesnois et du Dunkerquois (Nord), et de l’Arrageois (Pas-de-Calais). États de livraisons communiqués par les fournisseurs en main, ils ont demandé à voir les stocks, ou la justification des sorties. La première amende correspond au droit d’accise (environ 15 euros par litre). Après signature de son procès-verbal de contravention, le pharmacien sera poursuivi au pénal, une condamnation dans le cadre professionnel entraînant automatiquement la saisine de l’Ordre par le procureur de la République. Au bout du parcours, une possible interdiction d’exercer.
« Le registre est très contraignant, et pas toujours bien tenu », convient Patrice Devillers, qui n’ignore pas les pratiques de la profession, les périodes les plus intenses de vente d’alcool se situant « vers l’été pour le vin de noix et la crème de cassis », ni que des confrères pratiquent des tarifs bas, « presque des produits d’appel, ce qui est paradoxal ». Ou encore que des pharmacies frontalières ont des ventes « importantes » pour des clients belges. Lui-même achète le litre 3 euros et le revend 15 euros, « pour que ce soit dissuasif ».
« Le risque est trop élevé, plaide le responsable syndical. Certaines amendes peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, sans préjuger des suites. Les officines connaissent déjà des soucis économiques, leur situation est compliquée. » Patrice Devillers a demandé à rencontrer le directeur général des douanes, à Paris, « pour obtenir des éclaircissements. La loi ne fixe pas de limite d’achat, ni de vente, contrairement aux précédents quotas. Qu’on nous dise ce qu’on peut vendre. Que les choses soient claires. »
Rendez-vous a été pris pour le 12 avril, repoussé au 12 mai, le directeur général tenant à être présent. Patrice Devillers a conseillé aux pharmaciens de surseoir d’ici là à la signature du procès-verbal de contravention, normalement prévue dans un délai de 15 jours, cette signature entraînant ipso facto la poursuite pénale. « Ensuite, prévoit le responsable syndical, il faudra trouver un arrangement. On ne négocie pas avec les douanes. »
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Patrice Devillers craint pour la survie de certaines officines
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