Baptiste Fortin, fraîchement issu de la filière officine, est prêt à s'installer. Il attend juste le projet qui correspondra le mieux à son attente. Pour y répondre, les propositions ne manquent pas. Elles viennent de quelques-unes des 42 pharmacies qu'il a côtoyées durant sa formation. Le jeune diplômé, à l'instar des compagnons artisans, a entrepris un « tour » des pharmacies de France d'une durée de 6 à 8 mois en changeant d'officine tous les 8 à 15 jours. L'expérience lui a tellement plu qu'il a demandé à la prolonger.
« En sortant de la fac, il y a trois ans, je voulais m'installer. » Il commence par effectuer deux ans d'assistanat, bientôt ponctués d'une proposition de CDI. Il refuse pourtant cette opportunité car il lui manque quelque chose. « Je voulais voir d'autres facettes du métier, avoir plus d'expérience. » Il tombe alors sur une annonce de la commission Compagnonnage du réseau Totum qui recherche des jeunes pharmaciens animés d'un désir d'entreprendre. Il décide de rencontrer des membres du réseau et constate leur fort investissement sur les axes les plus médicalisés de la profession. « Quand on finit son cursus, on veut s'engager au bénéfice du patient. » L'orientation de ces pharmaciens, leur accueil chaleureux le séduisent. Il se lance alors dans l'aventure du compagnonnage et, un an plus tard, ne peut que s'en féliciter. « La qualité et le nombre des échanges avec les titulaires, les équipes et les patients sont exceptionnels. J'ai vu la gestion d'une officine comme nulle part ailleurs. Ça a renforcé mon envie de m'installer. »
À la fin de son parcours, Baptiste a rejoint la dizaine de « compagnons » pharmaciens issus, à ce jour, du système très sélectif de formation développé par la société HPI, initiales des mots « Humains Pharmaciens Indépendants ». Créée en juin 2008 avec une vision assez exigeante de l'exercice officinal, la structure a pour objectif de « promouvoir l'existence de lieux favorisant les actes de santé réels ». Une mission qui a permis au réseau Totum de voir le jour. « 200 pharmacies se rangent aujourd'hui sous cette bannière », indique Jean-Philippe Carré, responsable du développement au sein d’HPI.
Une aventure professionnelle
À l'image du totum de la plante, le réseau s'est construit dans l'idée de mobiliser toutes les capacités d'une discipline, en l'occurrence celles du métier de pharmacien, pour offrir le meilleur service au public. Ainsi ses membres, qui participent au capital de la société HPI, doivent exercer dans un souci d'amélioration permanent, formation, démarche qualité et suivi pointu du patient étant incontournables. Ce qui n'exclut pas la notion de rentabilité, la marge dégagée par l'officine étant indispensable pour se consacrer pleinement aux actes pharmaceutiques. « Il faut se donner les moyens d'être des acteurs de santé et prouver que notre professionnalisme et les actes qu'il engendre peuvent faire l'objet de rémunération », poursuit Jean-Philippe Carré. Les moyens financiers servent également à financer le compagnonnage puisque chaque apprenti pharmacien est salarié de l'officine (coefficient 470) qui l'accueille et qui prend aussi en charge son hébergement et ses repas. La démarche a donc un certain coût qui limite le nombre des candidats au compagnonnage.
Mais il y a d'autres raisons à la rareté des apprentis. « De moins en moins de jeunes se tournent vers l'officine. De plus, nous appliquons des critères drastiques pour sélectionner des personnes compétentes, qui témoignent d'une vive appétence pour leur futur métier et d'une grande volonté d'entreprendre. » Des qualités qui seront mises en évidence à l'aide d'un questionnaire, suivi d'un entretien. À l’issue de la sélection, trois jeunes diplômés sont désignés tous les ans pour parfaire leur formation au sein de multiples officines dans toute la France. « L'idée est d'offrir au candidat une vision à 360° du métier d'officinal. Fort de cette expérience, il pourra choisir son cadre d'exercice - rural, citadin, centre commercial… - en toute connaissance de cause. » À la fin de son apprentissage, le jeune doit rédiger un rapport de compagnonnage rendant compte de son activité tout au long de son parcours. « On attend aussi de lui qu'il fasse des suggestions pour améliorer la qualité de l'exercice. » Dans ce sens, il doit être proactif, partager et entretenir une vision exigeante du métier qui privilégie des notions comme la promotion de la santé, la responsabilité du professionnel, le service au public, la nécessité de se former. Au terme du parcours, le jeune pharmacien est engagé au sein du réseau Totum comme assistant ou associé, mais peut aussi développer un projet d'installation.
Julien Régnier, premier diplômé à avoir été désigné « compagnon » il y a 8 ans, n'a pas tardé à s'installer. Quand il rencontre le titulaire qui lui propose de s'associer, il vient de débuter son tour de France. C'était en mars 2011. Quelques mois plus tard, à la fin de son compagnonnage, il s'engage à la tête d'une pharmacie. Celle-là même qu'il dirige aujourd'hui. « C'est une aventure professionnelle immense, nourrie par le nombre d'officines - pour moi, environ 35 - que l'on est amené à côtoyer, mais aussi par le quotidien que l'on partage avec le titulaire qui nous reçoit. Avec lui, la journée se poursuit bien au-delà de la fermeture, en discutant sur le chemin du retour, chez lui dans sa maison. Il confie des réflexions intimes sur le travail, il donne des conseils différents de ceux que l'on peut délivrer dans un cadre professionnel. C'est très formateur. Un an de compagnonnage équivaut à dix ans d'exercice. »
Accompagner
Le plan humain est tout aussi riche. « Certaines personnes m'ont accueilli comme un fils, poursuit Julien Régnier. On a développé des liens très forts et aujourd'hui j'ai des amis aux quatre coins de la France. D'un point de vue émotionnel, c'est une aventure au-delà de l'ordinaire. » Une fois intégré au réseau, l'importance du relationnel prend tout son sens. Accompagné dans son exercice, guidé dans ses premiers pas, le jeune pharmacien ne peut pas se sentir seul. « Entre nous, il y a un échange de bonnes pratiques permanent qui nous fait tous progresser. Quand on est dans le partage et pas dans la concurrence, on peut faire beaucoup et c'est au bénéfice du patient. »
Pour la pharmacie qui accueille, le défi est d'arriver à partager son expérience avec le futur « compagnon ». Mais rien n'est entrepris au hasard. « On décide d'un sujet à approfondir, qu'il s'agisse de la vie de l'officine (management, gestion du temps, recrutement, merchandising…), de service (PDA, HAD…), de compte de résultat ou de gestion des prix », précise Francis Hanser, titulaire habitué à accueillir les jeunes stagiaires. L'équipe est informée de la visite et elle se mobilise autour du compagnon. « Les collaborateurs sont souvent ravis de rencontrer un stagiaire car, même en tant que débutant, il a une expérience à partager avec les autres. » Transmettre son vécu, délivrer sa vision du métier, donner des outils, ne s'effectue pas que dans un seul sens. « Face au futur compagnon, nous ne sommes pas dans un rapport hiérarchique mais plutôt entre pharmaciens. » La diversité des situations rencontrées, l'éventail des personnalités côtoyées, la richesse des éléments transmis contribuent, en bout de parcours, à produire « un professionnel hyper-efficace, un super adjoint prêt à relever les défis ». Pour ces jeunes, l'envie d'entreprendre est plus forte que tout. « Neuf sur dix ressortent avec l'envie de s'installer. »
D'autres systèmes d'accompagnement ont vu le jour afin d'encadrer les premiers pas des jeunes officinaux. La FSPF* de l'Oise, par exemple, invite chaque année les nouveaux installés du département à assister à son conseil d'administration pour évoquer les différents problèmes qu'ils rencontrent. Une proposition de parrainage est alors faite à ceux qui veulent adhérer. « On leur remet un cahier abordant quelques règles d'exercice bonnes à savoir (affichage, dispensation, conduite en cas d'inspection…) », explique Antoine Darras, président de la Fédération de l'Oise. Ils se voient également attribuer un parrain qu'ils peuvent contacter dès qu'une question professionnelle se pose. « C'est un interlocuteur privilégié très important pour le nouvel installé car il connaît les usages et possède tout un réseau de contacts en cas de problème. » L'invitation sera bientôt relancée dans l'Oise pour une nouvelle année de parrainage. Quant au réseau Totum, il recrute d'ores et déjà de nouveaux candidats au compagnonnage et à l'installation via le site www.adopteunepharma.com.
*Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.
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