En même temps qu’il bénéficie d’une popularité record, le chef du gouvernement n’a jamais été aussi seul. Il ne peut pas compter sur l’opposition, bien qu’il lui ait tendu la main ; il est combattu par l’extrême gauche ; les Verts ont annoncé qu’ils ne voteraient pas son plan ; une partie des députés socialistes exige qu’il limite les économies à 35 milliards. Pourquoi 35 milliards au lieu de 50, et d’ailleurs pourquoi 50 sinon parce que la France ne peut pas faire plus ? Si Manuel Valls écoutait les voix du mécontentement, il viderait le plan de toute sa signification. La discussion ne porte pas sur les chiffres. Elle représente un stratagème pour ne pas faire d’économies, pour remplacer la décision par le débat, pour reculer de quelques mois ce qu’il est urgent de faire. Nous avons assisté à trop d’atermoiements, nous avons mesuré trop de lâcheté face à la difficulté, nous avons observé trop de réformes, embarcations fragiles enlisées dans la vase, naufragées ou englouties pour croire aujourd’hui qu’il y ait quoi que ce soit de sain dans cet appel d’une partie de la majorité à discuter davantage avant d’appliquer les remèdes sans lesquels la société française ne survivra pas en l’état.
Il faut que chaque élu, de droite ou de gauche, prenne ses responsabilités dans une clarté totale. Oui, en gelant les minima sociaux, le gouvernement adopte une mesure qui va faire mal aux plus pauvres ; oui, en maintenant le gel de l’indice des salaires des fonctionnaires (bloqués de puis quatre ans, mais pas lorsqu’il y a des promotions) et celui des retraites, il sanctionne des groupes sociaux qui ont déjà beaucoup donné. Mais les gisements d’économies se situent dans la protection sociale. Lorsqu’on dit que « la France vit au-dessus de ses moyens », on ne parle pas de quelconques prébendes qui seraient distribuées à des nantis, mais d’un niveau de protection sociale peut-être insuffisant pour ses bénéficiaires, mais excessif pour les comptes publics.
Aussi bien n’existe-t-il de méthode parfaite pour redresser les comptes. Une redistribution en dentelle, qui épouserait chaque cas social, est illusoire, relève de l’utopie. La question, à l’heure qu’il est, n’est plus de savoir si le plan de M. Valls, qui, de toute façon, est celui que François Hollande a annoncé au début de l’année, est bon. La question porte sur la capacité des Français à admettre enfin que l’on ne peut pas faire dans les budgets sociaux des coupes indolores et que le redressement passe inévitablement par des sacrifices. Le plan est imparfait mais il contient au moins une composante politique forte : il fait redémarrer le convoi national, il arrêtera l’hémoraggie des dépenses, il nous donnera les moyens d’investir dans la relance. Nombre d’économistes, parfois plus à gauche que l’exécutif, affirment que les économies vont casser la croissance renaissante. Vraiment ? Notre dette nationale est proche de 2 000 milliards, chaque citoyen français, y compris ceux qui viennent de naître, est endetté à hauteur de 30 000 euros, et nous avons été incapables de respecter le calendrier de la réduction du déficitaire budgétaire. Nous avons demandé trois fois en cinq ans un délai supplémentaire pour parvenir à un déficit de 3 % du PIB alors que l’Allemagne, pour ne citer qu’elle, présente pour 2014 un budget équilibré. Qu’y a-t-il de si accablant dans la nécessité d’équilibrer les comptes publics que beaucoup de pays européens ont fait ou sont en train de faire et que nous ressentons comme une torture à laquelle le pays ne peut résister une minute ? Et de quoi aurons-nous l’air lorsque nous serons les seuls, à l’horizon 2017, à ne pas l’avoir fait ?
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