Lancé en France par la loi HPST, le concept du décloisonnement des pratiques professionnelles est devenu un credo. Agnès Buzyn l’a rappelé le 17 mai au cours d’un dialogue avec les Français sur un Facebook live : « Nous allons demander à tous les médecins de s’organiser avec tous les professionnels de santé pour mieux suivre les patients grâce à des plans d’accès aux soins (...). Les élus locaux, des députés, des sénateurs seront chargés de constater les avancées tous les six mois et j’ai demandé aux ARS d’animer dans tous les bassins de vie des groupes de travail avec les professionnels de santé et les élus pour trouver des solutions. »
Sur le terrain, les acteurs de santé n’ont pas attendu ce signal pour multiplier les initiatives, comme en atteste l’émergence de communautés professionnelles de territoire en santé (CPTS) et d’Équipe de soins primaires (ESP) (voir « le Quotidien » du 23 avril). Souvent issues de motivations individuelles, ces organisations pluriprofessionnelles peinent à se généraliser, faute de cadres législatifs contraignants. Résultat, comme le reconnaît Marie-Hélène Rodde-Dunet, adjointe à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (DAQSS) à la Haute Autorité de santé (HAS), « si la notion de parcours du patient est devenue une évidence, les changements organisationnels pour faciliter la coopération entre professionnels de santé ne sont pas aussi aboutis que dans d’autres pays francophones ».
Le choix du dialogue permanent
En Belgique, en Suisse et au Québec, médecins, infirmiers et pharmaciens sont parvenus à décloisonner certaines de leurs pratiques à l’échelle du territoire. Grâce à la fixation d’accords-cadres, des avancées ont été obtenues, non sans lutte, en dépit des réflexes corporatistes et des rigueurs législatives.
Ainsi, en Belgique, les lois et les arrêtés royaux de 2009 et 2014 ont défini un périmètre pluriannuel d’exercice pour les pharmaciens. Le dernier en date avait tracé les orientations d’une prise en charge pour les 5 % de patients chroniques subissant une perte d’autonomie. Mais la Belgique a décidé d'aller plus loin. Depuis le 1er octobre 2017, les 95 % restant peuvent aussi bénéficier d’un accompagnement de leur pharmacien dans le bon usage du médicament et de l’observance. À ce jour, 600 000 de ces patients ont choisi un pharmacien référent. Un vif succès dont se félicite Alain Chaspierre, président de l’association des pharmaciens belges. « Cette prise en charge par un pharmacien référent qui agit sur trois axes, adhésion thérapeutique, polymédication et littératie* - 40 % des patients n’ont pas compris leur traitement - permet de retarder significativement l’échéance de la perte d’autonomie », précise-t-il. Celui qui attendait cette avancée depuis le premier jour de sa carrière professionnelle, il y a vingt-cinq ans, réfute toutefois toute interprétation « angélique » des relations entre médecins et pharmaciens. Pour autant, plutôt que de provoquer un conflit avec le corps médical, les pharmaciens belges ont opté pour le dialogue permanent. « Nous usons de notre pouvoir de conviction pour démontrer le rôle essentiel du pharmacien référent dans le schéma de médication, fondamentalement différent de celui du médecin qui conserve l’intention thérapeutique », souligne Alain Chaspierre.
Bien davantage, le pharmacien référent détient un rôle pivot dans la « consolidation du schéma de médication » entre les différents prescripteurs et l’automédication, élément non négligeable dans la prise en charge du patient chronique. Une prochaine étape sera franchie en 2019 avec le projet Vidis, un système prévoyant un dossier pharmaceutique par patient. Il entérinera l’accès aux différentes strates de données (nom du prescripteur, posologie, date de rendez-vous médical pour renouvellement…) à partir du dossier pharmaceutique (automédication incluse) et du dossier médical généralisé (DMG). À condition toutefois, comme l'indique Alain Chaspierre, que ce dernier soit renseigné, seulement 10 % de ces DMG étant actuellement complets !
Des pharmaciens prescripteurs
En Suisse, l’interprofessionnalité au quotidien se concrétise, par exemple, dans des cercles de qualité regroupant une dizaine de médecins d’un secteur délimité autour d’un ou de deux officinaux (« le Quotidien » du 30 octobre 2017). « Le pharmacien a l’occasion de démontrer sa valeur ajoutée en présentant les bonnes pratiques dans des cas thérapeutiques précis, comme l’utilisation d’antibiotiques. Les médecins décident ensuite localement des bonnes pratiques à adopter. Ces concertations permettent de réduire de 30 à 40 % le coût des traitements pour un résultat égal, sinon supérieur », expose Luc Besançon, représentant de l’association des pharmaciens suisses, PharmaSuisse.
Enfin, autre exemple d’un dialogue réussi entre professionnels de santé, le rôle des pharmaciens suisses dans les « Home » (maisons de retraite). Les pharmaciens y assurent, au-delà de la livraison des médicaments, un conseil actif aux médecins dans la prescription, et aux infirmiers dans l'administration des traitements. Cette fonction, destinée à réduire le coût et le volume des traitements, est rémunérée 1CHF (0,85 euro), par patient et par jour.
Outre-Atlantique, les pharmaciens québécois peuvent également déployer leur expertise dans un périmètre élargi. Grâce à l’entrée en vigueur de la loi 41, il y a bientôt trois ans, les officinaux de la Belle Province détiennent de nouvelles compétences (voir encadré) dont ont déjà bénéficié 470 000 Québécois sur une population de 8 millions d’habitants. « Il aura fallu attendre quatre ans, et trois ministres, pour que la loi de 2011 soit enfin appliquée. Et ce au prix d’âpres négociations avec le corps médical », souligne Jean-François Desgagné, membre du conseil d’administration de l’association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).
Côté médecin, les plaies ne sont toujours pas totalement refermées. Cependant, Jean-François Desgagné se félicite d’une belle avancée. Désormais, lorsque le médecin de sa commune des Trois-Pistoles envisage un voyage, il l’appelle pour qu’il lui prescrive des antidiarrhéiques !
D'après un colloque organisé par Pharma Système Qualité.
* Compréhension de la maladie et de ses traitements.
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