Tendances & marchés

La pharmacie au vert voit la vie en rose

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Publié le 24/06/2019
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La force du naturel n'est plus à démontrer à l'officine où les plantes et leurs capacités thérapeutiques ont fondé toute une partie de la pharmacopée. Composées d'extraits végétaux, ces formules occupent peu à peu des places centrales dans les rayons, principalement sous d'autres statuts que celui du médicament.
Huiles essentielles

Huiles essentielles
Crédit photo : phanie

Nature et santé sont devenues, à juste titre, un sujet de débat récurrent. On en parle dans les rapports comme celui qu'a rendu, fin 2018, la mission d'information du Sénat sur le « développement de l'herboristerie et des plantes médicinales », proposant notamment une possible extension de la liste des 148 plantes médicinales libérées du monopole pharmaceutique et soulignant « l'incroyable potentiel » que représente leur filière. Elle s'exprime également à l'officine par le biais de la phytothérapie (AMM et compléments alimentaires) et de l'aromathérapie, les deux axes majeurs qu'emprunte la santé par les plantes dans le circuit.

Sans surprise, les deux segments se portent bien, le premier affichant une progression en valeur d'environ 10 % en 2018 - pour atteindre environ 120 millions d'euros - talonnée par la croissance du second qui avoisine les 7 % - pour un total proche de 160 millions d'euros. Dans un contexte où les produits à base de plantes sont de plus en plus demandés, c'est pourtant l'aromathérapie qui à tendance à s'imposer. « Si l'on regarde les performances des deux segments ces dernières années, on constate que les formules qui intègrent des huiles essentielles voient leurs ventes augmenter de 10 % à 15 % tous les ans, indique Laurent Mermet, directeur marketing chez Naturactive. La phytothérapie qui est le marché traditionnel de la santé au naturel, évolue quant à elle de 4 % à 5 % en valeur sur la même période. » La montée en force de l'aromathérapie repose sur deux éléments principaux : très tôt, cette discipline a mis en avant sa naturalité en expliquant les modes d'extraction des huiles essentielles, leurs utilisations, leurs domaines d'application, et a communiqué sur ses certifications ; son efficacité, sa rapidité d'action ont fini de convaincre le public quant à la puissance thérapeutique dont disposent certaines plantes. « En comparaison, la phytothérapie s'inscrit plutôt dans la prévention ou l'accompagnement au long cours des petites affections. »

Toutes deux fondées sur l'exploitation des propriétés thérapeutiques des végétaux, l'aromathérapie et la phytothérapie sont complémentaires dans leur façon de prendre en charge la santé. Leurs domaines de prédilection sont la sphère ORL (maux de gorge, encombrement respiratoire, rhume…), le sommeil et les états anxieux, la vitalité et le tonus, ainsi que les gênes articulaires dont elles traitent les manifestations bénignes. « Sur le marché ORL, l'offre reste dominée à 75 % par les formules de synthèse traditionnelles, les produits naturels n'occupant que 16 % des parts, et l'homéopathie 9 %, détaille Johanna Noël, chef de marque chez Médiflor. Mais seules les références de phytothérapie et aromathérapie sont en croissance, avec une hausse de 17 % en volume pour l'année 2018, les autres segments accusant une baisse des ventes de 10 %. » Les tisanes et infusions centrées sur le bien-être ont, pour leur part, tendance à investir les enseignes bio et les magasins de diététique.

Réassurance

Si, pour la phytothérapie, le complément alimentaire est le statut le plus courant, de nombreux médicaments se rangent encore dans cette filière. Mais un autre statut y prend de l'ampleur. « Les derniers lancements dans ce domaine sont souvent des dispositifs médicaux, précise Johanna Noël. C'est un cadre moins contraignant en termes d'allégations car il ne relève pas de la monographie européenne, beaucoup plus restrictive. » Quant à la galénique, la plus prisée en phytothérapie est la gélule, avant la forme liquide (ampoules, sachets sticks). L'aromathérapie, pour sa part, se traduit de façon très diverse, selon l'utilisation qui est faite des huiles essentielles, intégrées dans une formule ou présentées en unitaires. « Il existe de nombreuses indications pour une même huile essentielle, poursuit Laurent Mermet. Ces produits font régulièrement l'objet de mésusages qui sont de plus en plus signalés par le milieu hospitalier. Ils nécessitent un conseil pointu car ils peuvent produire des effets indésirables. » Ce qui n'empêche pas le public de les plébisciter comme tous les produits de santé naturels. « De nombreuses personnes estiment que leur pathologie n'est pas traitée de façon optimale. Elles se tournent alors vers les plantes et les solutions qu'elles peuvent offrir. »

Si l'essai est concluant, le patient réitère et finit par devenir un adepte de ces thérapies alternatives. Indication après indication, il parcourt tout le spectre des formules naturelles. Cette démarche prend du temps et ne se fait pas sans l'accompagnement d'un médecin, d'un pharmacien ou d'un naturopathe. « À la fin de sa recherche, le patient aura désigné quelques points de vente experts auprès desquels il s'approvisionnera exclusivement. Il s'agit souvent de pharmacies de proximité avec lesquelles il développe un lien de confiance assez fort. »

Un élément qui a son importance car la population adepte des thérapies naturelles a besoin d'être réassurée. C'est une des raisons pour lesquelles elle se tourne vers les ressources du monde naturel comme solution de santé. Dans ce contexte, les labels, la traçabilité et l'origine des ingrédients sont aussi des critères de réassurance. « Nos produits sont labellisés Origine France (certification AFNOR) et nous accordons une attention particulière à la sécurisation des approvisionnements. Un gros travail est entrepris chez Pierre Fabre pour cultiver les plantes en interne, éviter la surexploitation et garantir la qualité des fournisseurs. Le marché des solutions naturelles génère beaucoup d'innovation mais il ne faut pas faire un usage déraisonné des plantes à disposition. »

Multiples segments

L'exploitation raisonnée des plantes se justifie d'autant plus qu'il existe des phénomènes de mode focalisant l'attention sur un ingrédient naturel pour l'oublier quelques mois plus tard. « C'est le cas des superaliments comme la baie de Goji », constate Virgine Barrieu, directrice des relations médicales chez Nutergia.

Dans le champ des compléments alimentaires à base de plantes, de plus en plus nombreux, ce sont plutôt les associations d'actifs qui intéressent le consommateur. Selon une étude Opinionway réalisée en janvier 2019 sur les Français et les compléments alimentaires, les produits de la ruche, les plantes médicinales et la phytothérapie, mais aussi les vitamines et minéraux et les oméga 3/6/9 figurent aux premiers rangs des produits jugés bons pour la santé. Conseillés pour 59 % des interviewés par un professionnel de santé, les compléments alimentaires sont avant tout consommés en tant que produits naturels et pour éviter de prendre des médicaments. Nutergia, dont toutes les formules phytominérales sont composées d'extraits végétaux et d'oligo-éléments, peut en témoigner, son chiffre d'affaires en France ayant augmenté de plus de 13 % en 2018.

Si elles disposent d'un potentiel de développement important, les thérapies naturelles ne se résument cependant pas à la phytothérapie et l'aromathérapie. L'homéopathie est souvent associée à ces modes de soin qui incluent aussi des segments plus modestes comme l'apithérapie (produits de la ruche), l'oligothérapie (oligo-éléments) ou la gemmothérapie. Cette dernière, émergente, utilise comme ingrédient des bourgeons de plantes très concentrés en principes actifs. « Toutes les parties de la plante en devenir sont présentes dans ces jeunes pousses, récoltées en saison, qu'on va laisser macérer dans un mélange composé d'eau, de glycérine et d'alcool pendant 21 jours, explique Louise Suparschi, responsable marketing chez Santarome. On obtient ainsi un élixir très actif car chargé du totum de la plante. Associé à différents extraits végétaux, il constitue le socle de toutes nos références. » Si la gemmothérapie exclusive est encore peu représentée dans le rayon des produits naturels, il n'est pas rare de voir l'extrait de bourgeons figurer parmi les composants des produits à base de plantes.

Quel que soit leur mode d'action, les méthodes de santé naturelles se démocratisent. Plus de 40 % des Français auraient régulièrement recours à au moins une d'entre elles. Cependant, pour 72 % des utilisateurs, l'origine biologique reste un critère important dans le choix de ces produits.

 

Anne-Sophie Pichard
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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3530