Les insurgés, en effet, nient aux élus toute compétence et toute autorité. Leurs revendications iront bien au-delà du cadre qu'Emmanuel Macron a fixé et qui est censé les empêcher de remettre en question des lois déjà votées. Maintenant que l'on connaît tous les ressorts de leur contestation, on imagine que seule la démission du président serait de nature à les satisfaire. Ils continuent avec obstination à déclencher des opérations dans les villes, bien que l'opinion commence (tardivement) à se lasser de leurs exactions ou de celles qu'engendrent leurs manifestations. Ils ne cassent pas que des vitrines, ils sont en train de démolir les principes sur lesquels est bâtie la vie collective. Les sociologues exposent dans le détail l'origine du mouvement, ce qu'il réclame, la direction qu'il prend. Mais comment ne pas voir ce qui crève les yeux, à savoir que leur absolutisme, parti d'une revendication sociale que l'on croyait légitime, traduit une forme aigue de poujadisme et qu'il a une nature totalitaire ?
Le débat politique a été durablement vicié par les actes de violence. La majorité fait l'objet de toutes les attaques des gilets jaunes : permanences démolies ou taguées, élus menacés, dont les domiciles sont attaqués et les voitures incendiées, sans compter cette gigantesque rumeur produite par la haine sur les réseaux sociaux, ce flot incessant d'injures, ce déversement permanent de boue. D'aucuns relativisent le phénomène : ce ne serait pas la première fois que des hommes et des femmes politiques subiraient les assauts d'électeurs contrariés. La vie politique a toujours été encombrée par la détestation et les vociférations. Accorder de l'importance à ces délinquants ne pourrait que les encourager à poursuivre leur action démentielle.
Un changement de nature
Je ne suis pas sûr que ne s'est pas produit, en quelques semaines, un changement de nature dans l'organisation de la collectivité nationale. Je crois déceler une émulation générale dans une indicible vulgarité, la prolifération des mensonges, le langage ordurier, la menace de mort. Nous sommes pratiquement divisés en autant de citoyens. La violence verbale et physique sert d'argumentation. Le pouvoir se demande, certes, si ses jours sont comptés. Mais les oppositions, auxquelles l'occasion historique donne le vertige, se comportent d'une manière telle que toutes les lois que nous avons adoptées pour « moraliser la vie publique » n'y changent rien. En tout cas, les Républicains, qui s'acharnent contre la majorité sans lui laisser le moindre répit, ne gagnent rien à l'affaire. Le passage de Thierry Mariani (avec un acolyte, Jean-Paul Garraud) au Rassemblement national est présenté comme une belle prise pour Marine Le Pen. Belle prise ? Il avait perdu son job de député, il veut être élu sur une liste européenne. Et qui est-il ? L'homme qui a rendu visite sept fois à Bachar Al-Assad et très souvent à Poutine. C'est une perte dont LR devrait se réjouir.
Le tout à l'avenant : Jean-Luc Mélenchon et son lieutenant François Ruffin ne savent plus quoi dire et quoi faire d'un mouvement, celui des gilets jaunes, qui leur semble coller à leur idéologie, mais qui refuse d'être récupéré. La classe politique dénonce la dérive de M. Mélenchon, sa fascination pour un événement qui, en réalité, représente le pire de l'extrême droite et dans lequel, par un fol enthousiasme, il souhaite se fondre puisqu'il ne peut le diriger. Sous le vernis du verbe et de la culture, finit par poindre la vérité crue du monde animal. M. Mélenchon est séduit parce qu'il y a en lui la même violence que celle des gilets, la même détermination, la même menace adressée aux Français, la même arrogance, celle qui le trahit sur les plateaux de télévision où il ne perd jamais l'occasion de terroriser ses interlocuteurs. L'idée, c'est de se montrer intraitable avant l'heure. Une fois qu'il sera au pouvoir, ses concitoyens ne seront pas étonnés de ce qu'il leur serre la vis.
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