L’ALCOOL rend parfois mauvais. Serait-ce le cas pour l’administration des douanes ? Cela ne fait aucun doute au vu des contrôles tous azimuts menés par ses agents depuis quelques mois à l’encontre des officines de pharmacies qui se trouvent mises au ban des contrebandiers. De quelles infractions nos pharmaciens sont-ils accusés ? Détournement du régime d’exonération de l’alcool utilisé à des fins médicales et pharmaceutiques.
L’affaire a commencé dans les montagnes savoyardes. Plusieurs pharmaciens de cette région se sont vus accusés d’agissements frauduleux, considérant que leurs officines constituaient des relais de la filière de fabrication d’un alcool typique de cette région : le génépi. S’il est totalement crédule de penser que des abus sont improbables, il est tout aussi grotesque de considérer que l’alcool délivré par chaque pharmacie de quartier ait pu l’être à chaque fois à des fins totalement autres que médicales ou pharmaceutiques. Indiscutablement, l’administration des douanes manque de discernement dans la vague de contrôles qui se sont multipliés. Elle prétend légitimer son action en affirmant qu’elle ne fait là qu’appliquer la loi et que sa position a toujours été parfaitement claire vis-à-vis des professionnels de santé. Force est pourtant de constater que la situation est on ne peut plus trouble.
Essayons de nous rafraîchir la mémoire en rappelant brièvement l’évolution de la réglementation applicable en cette matière.
• Jusqu’au 31 décembre 1998, les pharmaciens ont pu acheter, utiliser et vendre de l’alcool éthylique en franchise de droits d’accises pour des quantités qui étaient déterminées en fonction du chiffre d’affaires de l’officine, période dite des « contingents d’alcool ».
• À compter du 1er janvier 1999, ce régime des contingents a laissé place à un régime d’exonération sous conditions. Ce nouveau régime a fait l’objet d’une instruction de la direction générale des douanes, publiée dans son bulletin officiel du 4 mars 1999, où elle indiquera que « sont exonérés (...) les alcools (...) utilisés à des fins médicales ou pharmaceutiques dans les hôpitaux (...) ainsi que dans les pharmacies ». Fixant les conditions d’application de ce régime d’exonération, la direction des douanes fera preuve de souplesse, en prévoyant plusieurs dispenses pour les pharmaciens. La vente d’alcool à 90° en exonération par les pharmaciens sera confirmée par un courrier officiel des douanes.
• Ce régime d’exonération sera codifié seulement en 2001, avec l’arrivée d’un nouvel article dans le Code général des impôts : l’article 302 D bis. Il est important de souligner ici que cet article 302 D bis du CGI n’a donné lieu à aucun nouveau commentaire de la part des douanes et que la doctrine officielle publiée en 1999 n’a jamais été rapportée non plus.
• L’article 302 D bis du CGI sera complété en 2005 par des mesures prises par décret, codifiées aux articles 111-0F et 111-0G de l’annexe III au CGI.
Ces mesures réglementaires ne donneront lieu à aucun commentaire, pas plus qu’elles ne feront l’objet de mesures transitoires pour permettre leur articulation avec un régime qui fonctionnait depuis plus de 6 ans. Après plusieurs années pendant lesquelles les pharmaciens pensaient avoir trouvé grâce auprès de l’administration des douanes, laquelle semblait leur reconnaître une présomption de bonne foi dans l’exercice de leur profession, celle-ci a brusquement opéré un changement de cap courant 2009, ce que d’aucuns pourront diagnostiquer ici comme un réveil brutal après un coma prolongé.
Voilà que les douanes se livrent aujourd’hui à une interprétation alambiquée de l’article 302 D bis du CGI, en considérant que la notion « d’alcool utilisé dans les pharmacies » doit être comprise comme l’alcool utilisé dans l’enceinte même de l’officine, excluant ainsi, par nature, que toute vente d’alcool à 90° réalisée au comptoir, à des fins médicales et pharmaceutiques, puisse être exonérée. Cette interprétation ne tient pas debout. Comment penser que l’intention du législateur ait été de conditionner la délivrance d’alcool à 90° en exonération à sa « consommation » sur place par le patient ? Fallait-il que nos pharmaciens transforment leurs officines en dispensaire de soins pour que la délivrance de l’alcool et son utilisation puissent intervenir sur un même lieu et ainsi être exonérés ? Soyons sérieux. La notion d’« alcool utilisé à des fins médicales ou pharmaceutiques dans les pharmacies », n’a jamais eu pour objet de réserver l’exonération des droits d’accises à une utilisation de l’alcool dans un espace restreint. Elle sert simplement à identifier, au sein d’un espace donné (hôpital, pharmacies), l’utilisateur (médecin ou pharmacien), lequel est autorisé à délivrer de l’alcool à 90° en exonération, dès lors que cette délivrance intervient à des fins médicales ou pharmaceutiques.
Comment l’administration peut-elle aujourd’hui tenir une position radicalement opposée à celle tenue initialement et qu’elle a laissé perdurer pendant 10 ans (1999-2009) et ce sans que les textes aient été modifiés ? La mémoire lui ferait-elle défaut ? L’ivresse à laquelle conduit cette nouvelle lecture désinhibée des douanes est que cette thèse est soutenue rétroactivement, c’est-à-dire sur l’ensemble de la période non prescrite fiscalement, permettant ainsi d’opérer des contrôles sur 3 ans en arrière. S’en est donc suivie une période de nervosité. Si des rencontres ont bien eu lieu au cours de l’été 2011 entre les autorités ordinales et la direction des douanes, aucune n’a débouché sur une solution buvable. Bien au contraire, l’administration des douanes en a même profité pour officialiser sa nouvelle posture au travers d’un courrier du 21 juillet 2011 et s’est contentée d’une déclaration d’intention concernant les contrôles en cours opérés par ses agents, leur recommandant modération. La réalité du terrain est malheureusement bien différente.
Cet imbroglio juridique a pris une nouvelle tournure à la fin de l’année 2011 dans le cadre de la discussion des lois sur le budget pour 2012. L’équilibre semblait avoir été retrouvé avec l’adoption d’un article dans la loi de finances rectificative pour 2011, complétant l’article 302 D bis du CGI, et ayant vocation à régler les contentieux en cours. Ce texte a été invalidé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 2011, les sages ayant été contraints de le censurer pour un problème de procédure. Aujourd’hui, l’administration des douanes a donc le champ libre pour poursuivre ces contrôles. Cette situation laisse un goût amer. Gageons que les juridictions qui seront saisies de ces contentieux accepteront de jouer un nouveau rôle pour faire retrouver à l’administration des douanes l’équilibre et la raison : celui de cellule de dégrisement. En attendant, ce sont les pharmaciens qui ont la gueule de bois et c’est bien là le paradoxe de cette histoire.
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