Entre mars et juillet 2017, plus de 10 000 ordonnances de cannabis médical, remboursé par l’assurance maladie, ont été honorées par les pharmaciens. Les officinaux ont donc été nombreux à suivre les rencontres de « Pharma World », le cycle de débats d’Expopharm, mais aussi à visiter les stands des laboratoires proposant du cannabis médical… dont l’offre ne suffit déjà plus pour répondre aux besoins. « Il y a actuellement quatre semaines d’attente pour obtenir des fleurs de cannabis », explique « Cannamédical pharma », qui importe et conditionne ses plants du Canada et de Hollande. En fonction des prescriptions, les pharmaciens les délivreront dans des pots, ou prépareront des gouttes ou des gélules. L’Allemagne, en effet, ne commencera à produire qu’en 2019 mais importera dès octobre de grandes quantités de cannabis supplémentaire. Le nombre de patients traités devrait connaître une augmentation spectaculaire : de 5 000 cette année à 100 000 l’an prochain, soit 20 fois plus, il pourrait atteindre 800 000 en 2021, selon « Cannamedical ».
Une autre société, Bionorica, produit du dronabinol (THC), la principale substance active extraite de la plante, et que les pharmaciens conditionnent ensuite dans leur préparatoire pour en faire des gélules ou des gouttes. En fleur ou en extrait, le principe actif est vendu aux pharmaciens par les laboratoires autour 10 euros le gramme. Les pharmaciens y ajoutent un honoraire de préparation de 90 %, complété par un supplément de 5,26 euros et, bien entendu, la TVA de 19 %. Le prix de vente au gramme flirte donc avec les 20 euros, sachant qu’un médecin peut prescrire au maximum 100 grammes par mois au même patient… ce qui représente une somme de 2 000 euros maximum pour l’assurance maladie, montant toutefois rarement atteint, le traitement moyen s'élevant entre 200 et 400 euros par mois.
81 indications
L’assurance maladie est très stricte sur le respect des 81 indications autorisant le remboursement, et rejette toute prise en charge s’en écartant. Et c’est justement là que la notion de cannabis médical se complique, observe le Pr Theodor Dingermann, professeur de biologie pharmaceutique à Francfort, qui n’a pas caché ses critiques lors des conférences qu’il a animées à Pharma World.
Il constate que la prise en charge, surtout des fleurs, est de plus en plus souvent refusée par les caisses. Résultat, un nombre croissant de médecins choisit de les prescrire sur une ordonnance privée, c’est-à-dire payée par le patient. Ces ordonnances privées, en forte augmentation, sous-tendent que la prescription n’est pas toujours à visée médicale. Un risque de « dérive » vers la prescription « de loisir » qui, selon le Pr Dingermann, aurait pu être évitée si la prescription de cannabis avait été limitée à certains médecins, comme des psychiatres ou des spécialistes de soins palliatifs. De plus, constate-t-il, le cannabis pose des problèmes particuliers pour les patients déjà gros consommateurs, tellement accoutumés qu’il faut leur donner des doses très élevées pour qu’elles soient efficaces… De même, les fleurs ne sont pas destinées à être fumées, mais le sont souvent : « Cela change complètement l’effet du cannabis, qui devient immédiat mais bref, alors que le cannabis prescrit est censé avoir un effet plus stable et plus durable. En outre, termine-t-il, on a peu de preuves de l’efficacité réelle du cannabis. » À l’inverse des fleurs, le dronabinol seul ne peut pas être fumé… du moins en théorie, et est plus difficile à « détourner ».
Risques de dérives
Son point de vue rejoint celui de l’Ordre, qui redoute les dérives, et rappelle que le cannabis n’est pas un produit miracle. En attendant, les médecins comme les pharmaciens sont de plus en plus sollicités pour le prescrire et délivrer, sans avoir toujours eu la formation adéquate pour cela. « Ça a été un peu chaotique au début, mais ça commence à aller mieux », souligne une pharmacienne de Hambourg, relevant que ces délivrances constituent une forte charge de travail, y compris pour des raisons administratives.
« Le vote de la loi autorisant les prescriptions s’est décidé très vite, parce que le gouvernement voulait éviter une avalanche de procédures judiciaires venues de patients réclamant le droit de cultiver eux-mêmes : aujourd’hui, il n’y a plus de raison de cultiver, souligne le Pr Dingermann, mais la loi, votée à la quasi-unanimité, alors que les partis avaient des motivations différentes, n’a pas assez clarifié la frontière entre la prescription médicale et le loisir. » Selon le président de l’Ordre, Andreas Kieffer, l’arrivée de spécialités sur le marché, et non plus seulement de fleurs ou d’extraits, pourrait contribuer à régler cette question, ceux-ci étant moins sujets au mésusage.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion