BIEN QUE NOUS soyons abondamment informés sur les procédures judiciaires en cours, la compréhension des dossiers ne peut résulter que d’une étude approfondie. La multiplicité des types de délinquance reprochés aux mis en examen, par ailleurs présumés innocents, plonge le juge ultime, l’électeur, dans une nébuleuse vague et imprécise sur ce qui a pu se tramer et se trame encore. Il ne perçoit pas toujours la nature des accusations. Il ne voit pas, par exemple, pourquoi des rencontres entre M. Sarkozy et Liliane Bettencourt sont répréhensibles et punissables par la loi. Il est confondu par d’autres instructions, par exemple, l’affaire Karachi où le nom de M. Sarkozy est cité. On lui dit que posséder un compte en Suisse, soupçon qui atteint Jérôme Cahuzac, est grave, mais ce n’est grave que si le compte existe, s’il n’est pas déclaré au fisc français et si les sommes ne sont pas taxées.
L’incapacité de la majeure partie de l’électorat à suivre toutes ces affaires dans le détail, à les distinguer, à en comprendre les ressorts profonds fait qu’elle ne les observe qu’à la surface. Elle croit ou ne croit pas ce qu’en dit la presse, d’autant que les commentaires engagés obscurcissent le tableau. Elle est aveuglée par le nombre des affaires, le prestige des mis en examen, la violence de déclarations contradictoires. Elle est donc tentée de disqualifier l’ensemble de la classe politique et d’aller chercher une certitude dans les partis qui n’ont encore pas gouverné et lui apportent au moins une certitude : eux, au moins, ne sont pas corrompus.
L’accusation de complot contre M. Sarkozy lancé par certains leaders de l’UMP n’est évidemment soutenue par aucun argument utile. Elle contribue toutefois à semer dans l’esprit des Français l’idée que la justice serait complice de la gauche, et mettrait son pouvoir, en principe indépendant, au service d’une cause politique. Ou encore que M. Sarkozy a si mal traité les magistrats pendant son mandat qu’aujourd’hui ils se vengent.
Une dérive inévitable.
Mais on ne peut pas faire le procès de la magistrature pour éviter celui d’un ex-président. Un juge tenace et persévérant, qui ne s’en laisse pas conter par un ancien président, devrait être perçu comme un homme qui fait bien son travail. En l’occurrence, l’acharnement, la suite dans les idées, le sang-froid sont perçus comme des défauts par ceux qui en subissent les effets; pourtant, tout ce qui participe à l’émergence de la vérité est positif. Il n’en demeure pas moins que la justice, aujourd’hui plus que jamais, est dans le monde, vit, travaille au cœur de la société, est contrainte de se dresser contre la classe politique. On n’y peut rien et on ne saurait se plaindre de personnes qui ne font qu’accomplir la tâche pour laquelle ils sont payés. Malheureusement, la plus ferme adhésion aux principes républicains, à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance de la justice se traduit forcément par des conséquences politiques qui, elles, sont déjà et seront de plus en plus regrettables. C’est un peu comme un programme de prévention sanitaire qui, poussé au maximum de son efficacité, décèle inévitablement un nombre plus élevé de malades. La corruption politique n’est peut-être pas plus répandue qu’autrefois mais elle est plus souvent mise au jour.
Décidément, tous les éléments sont réunis pour que la France bascule vers le Front national ou vers l’extrême gauche : la crise qui continue de nous accabler, les menaces qui pèsent sur notre avenir et surtout l’impuissance de la droite, puis de la gauche, à contenir la détresse sociale. Dans ce contexte, la rumeur court : non seulement ils sont nuls, mais ils sont malhonnêtes. Rien ne pouvait être plus destructeur, dans l’impasse socio-économique actuelle, que les mises en examen successives, à deux jours d’écart, de Jérôme Cahuzac et de Nicolas Sarkozy. On veut seulement espérer qu’il y aura une relève capable à la fois d’exciper de sa probité et de proposer des changements salutaires.
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