« JE NE SUPPORTE PAS la souffrance des gens. Dans mon métier, la souffrance que j’ai pu endurer me permet de mieux écouter celle des autres. Dans une épreuve sportive, on sait que la souffrance va s’arrêter, ce n’est pas toujours le cas dans la maladie. » En fait de souffrance, Oleg Peregord ne s’épargne pas, même si c’est volontaire. Ce coureur de fond, pharmacien à Plurien (Côtes d’Armor), a « la passion de se dépasser toujours, d’aller au-delà de ses limites ».
Il dit avoir toujours été très sportif, et s’être orienté vers la course à pied depuis son installation, en 1992. La course à pied ne nécessitait ni matériel, ni équipement, comme une salle ou un stade, ni partenaire, ni un climat particulier. Les chemins de grande randonnée (GR) seront ses terrains d’entraînement, notamment le GR 34 qui fait le tour de la Bretagne. À défaut de partenaires, le pharmacien se fait vite des amis de course. Il peut aussi respecter le « deal » passé avec son épouse, également pharmacienne et son associée, que la course n’empiète ni sur le travail, ni sur la vie de famille.
Mais le fondeur est aussi un compétiteur, aussitôt saisi par l’envie de « faire un temps ». Oleg Peregord commence par le semi-marathon, puis enchaîne les marathons. En seize ans, il en parcourt seize, Paris, Londres, New York. « Le Marathon des Sables a été ma première grande expérience du désert (comme un clin d’œil, son officine s’appelle la Pharmacie des Sables). Un jour, le rêve est arrivé. » Un marathon particulier : sept jours dans le désert marocain, au sud de Ouarzazate, en autosuffisance alimentaire, des étapes de plus en plus longues, jusqu’à 80 km, en 18 heures, dans du « vrai sable », des températures jusqu’à 60 °C.
Rester lucide.
« Le sable, très abrasif, pénètre dans les chaussures. À l’étape, il faut décoller des chaussettes pleines de sang, découvrir des pieds abîmés, arracher des ongles. J’ai perdu neuf ongles d’orteil en sept jours, le dixième au retour à la maison. La douleur est très grande. » Le coureur portait un sac de 10 kg, son couchage, les rechanges, la nourriture lyophilisée. Le bivouac est obligatoire, et l’organisation fournit l’hydratation.
Oleg Peregord courra aussi « 600 km non-stop » dans le désert égyptien, une autre épreuve en Jordanie. Il a aussi couru à la Réunion, l’ultra-trail la Diagonale des fous. En 2014, une autre ultra-trail, le Mont Blanc, 10 000 mètres de dénivelés cumulés en 160 km, et 46 heures de course. Il a aussi été au Kilimandjaro (Tanzanie), a couru les « 177 km du Golfe du Morbihan ».
« Dans le désert, on est très vite très seul, observe-t-il. On profite peu du paysage, parce que la fatigue l’emporte. La tête s’évade, mais il faut rester très concentré, chaque pensée doit être calculée : être trop négatif mène à l’abandon, être trop positif aussi. Il faut rester lucide. Chaque moment est apprécié, mais il faut faire corps avec la nature, ne pas lutter contre elle. Si on utilise la nature, sa propre nature, on l’apprécie, et alors chaque moment devient sublime. On peut, en effet, commencer à parler de spiritualité, par exemple quand on avance seul, la nuit dans le désert, sans le moindre bruit. »
Tant d’efforts imposent un entraînement important, trois fois par semaine, toute l’année, quatre à cinq heures par jour, dix heures en temps de préparation. À 54 ans, Oleg Peregord a la finesse du fondeur, mais perd 4 à 6 kg par épreuve, dont de la fonte musculaire, au grand dam de ses deux filles, l’une jeune diplômée, la seconde encore étudiante (en pharmacie, bien sûr !), consternées par la maigreur des jambes paternelles.
Le pharmacien breton, fils d’immigré russe, « espère encore tenir 20 ans ! J’ai un calendrier de courses à vie, mais je veux surtout garder l’écoute de mon corps, le respecter. Je fournis des efforts dans des paysages exceptionnels, je profite à chaque instant de la nature. L’effort augmente la beauté du paysage ».
Légende photo J. Gravend : Oleg Peregord devant sa pharmacie, "des Sables", bien sûr
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