Que se passe-t-il lorsque notre regard se pose pour la première fois sur un tableau ? Telle est l'une des nombreuses et passionnantes questions abordées par Jean-Pierre Changeux dans son dernier ouvrage, « La beauté dans le cerveau », paru aux éditions Odile Jacob.
À l'occasion de cette parution, et plus de 30 ans après « L'homme neuronal », le célèbre neurobiologiste vient pour « L'Obs »* de lever un peu le voile sur les mystères de l'émotion esthétique. « Devant un tableau, explique-t-il à Véronique Radier, la couche sensible de notre rétine répond aux couleurs, chacune " excitant " des bâtonnets de largeur différente. Ces données sont transmises par impulsion via les nerfs optiques au thalamus, puis jusqu'aux aires du cortex spécialisées, les unes dans le traitement des couleurs, les autres dans l'analyse des formes ou encore du mouvement. Ensemble, ces aires projettent alors dans le cerveau une étonnante " image neuronale " du tableau. » À ce stade de l'observation, le cortex visuel représente donc formellement l'œuvre perçue par un processus d'analogie physique visant à reproduire l'image d'origine. Une copie conforme en quelque sorte.
C'est alors que certains neurones spécialisés aux axones particulièrement longs entrent en jeu et vont « fouiller » nos souvenirs et les représentations enfouies dans notre vécu pour recomposer l'œuvre d'une façon plus personnelle. Ce qui se passe lorsque nous sommes confrontés à la nouveauté d'une œuvre d'art, à son pouvoir évocateur et à sa valeur émotionnelle, estime ainsi le neurobiologiste, est comme un « embrasement qui envahit notre espace conscient ». « Sa puissance mobilise les émotions avec une telle force qu'on peut imaginer une ignition “explosive” de la conscience, unissant système visuel, cortex préfrontal - le siège de la rationalité - et système limbique, cette région profonde du cerveau, siège des émotions primaires. » Une bien belle façon d'expliquer le beau, non ?
* « Ce que l'art fait à notre cerveau », par Véronique Radier, publié le 18 décembre 2016 sur L'Obs.
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