NOUS SOMMES aujourd’hui dans une société dont les membres ne savent plus, face à un événement très douloureux, se contenter d’exprimer leur détresse ou leur consternation. Nous sommes dans un monde où tout doit avoir une signification qui conforte les convictions de chaque individu et le dogme de chaque chapelle. Nous sommes dans un système où, sous l’expression même de la douleur, affleure un cynisme dont personne ne parvient plus à se départir. Or, justement, Clément Méric ne voulait pas appartenir à ce genre de société, de monde ou de système. Il se situait en dehors de cette sorte d’enfer où s’affrontent, et pas toujours avec la plus grande intelligence, des calculateurs indécrottables qui excellent dans les fausses associations d’idées, dans les amalgames, et dans de si subtiles analyses qu’elles débouchent sur la pire des démagogies. Clément Méric, mort pour ses idées quelle qu’en fût le bien-fondé, méritait mieux, en tout cas, que la récupération politique à laquelle plusieurs grands partis se sont livrés.
Avec une imprudence coupable, les commentaires ont fusé avant même que les circonstances dans lequelles le jeune Méric, brillant étudiant à Sciences Po qui avait décroché une mention très bien au bac S et avait vaincu une leucémie, a trouvé la mort. Les nervis de la droite ultra, dans une torsion du jugement qui confine au sophisme, ont trouvé le moyen d’expliquer le crime par le harcèlement verbal du jeune Méric contre les skinheads, dont l’un a fini par le tuer, comme par hasard, à coups de poing. Ce qui revient à présenter l’agresseur comme la victime. Au Parti socialiste, on s’est dépêché de déceler un lien entre la Manif’pour tous et les troubles éléments qui, au terme de chacune des manifestations contre le mariage homosexuel, ont semé la violence. Pierre Bergé, dans l’un de ces jugements excessifs dont il a le secret, a parlé de « l’immonde Frigide Barjot » sous le prétexte que, face à la détermination du gouvernement, elle a cru devoir dire que cela finirait par du sang. Mais la même Frigide Barjot, menacée de mort, n’a pas pu participer à la dernière manifestation anti-mariage pour tous. Elle et ses amis ont certes été débordés par des éléments extérieurs voués à la violence, à la casse et au vol, mais qui n’avaient pas le moindre rapport avec le militantisme des gens hostiles au mariage homosexuel, dont ils se fichaient éperdument. À l’UMP, on s’est cru obligé de se placer sur la défensive, alors que se multipliaient les accusations de la gauche contre une droite dite classique qui se rapproche de plus en plus du Front national, lequel, par la voix de Marine Le Pen, a pris ses distances avec l’ultra droite.
Une perte de repères.
La mort de Clément Méric est une catastrophe dans un pays où la violence prend le pas sur le dialogue politique. Que la droite et la gauche s’emparent de cette catastrophe pour faire avancer leurs pions n’en est que plus consternant. C’est pourtant clair : le Front de gauche ne bénéficie nullement du décès d’un jeune homme qui ne se réclamait guère du parti de M. Mélenchon. Le Front national, dont toute la statégie repose sur sa transformation en parti de gouvernement, est aujourd’hui l’ennemi intime de l’ultra droite. La danse du ventre de l’UMP devant les électeurs du Front national n’a pas pour objectif de séduire des nazillons que l’on compte en centaines et pas plus. Il n’y a rien qui explique que, par une après-midi ensoleillée, rue Caumartin à Paris, un jeune homme à peine adulte tombe sous des coups assénés par des bandits. Rien, sinon des explosions de violence favorisées par le désordre social, lui-même déclenché par une terrible perte de repères. Gauche et droite ont gouverné assez longtemps depuis 30 ans pour porter conjointement la responsabilité d’une déliquescence générale qui a poussé au crime des esprits grossiers et conduit Clément Méric à une mort prématurée parce qu’il jetait sur la société française un regard assez lucide pour se mettre en danger.
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