COMME TOUT événement de ce genre et comme toute mesure judiciaire, toujours trop sévère aux yeux du condamné, trop légère aux yeux de l’accusateur, il y a à boire et manger dans l’invalidation des comptes de M. Sarkozy. La très vive réaction de l’intéressé et de son parti font bon marché de l’indépendance de la justice et qui s’étonnerait de ce que l’UMP a dépensé plus d’argent qu’elle n’en avait le droit ? M. Sarkozy et Jean-François Copé ne contestent d’ailleurs pas ce point : ils trouvent la sentence trop dure, qui les prive de près de 11 millions de recettes pour un dépassement de 466 000 euros, soit 2 % du total. De sorte qu’ils y voient un acharnement contre l’ancien président et même un « complot » auquel participeraient le pouvoir, le PS et les juges, avec lesquels M. Sarkozy a des rapports très tendus depuis son élection et, surtout, depuis qu’elle lui cherche noise à propos de diverses affaires. Éternels donneurs de leçons, les socialistes se sont hâtés, toutes vertus arborées en sautoir, de rappeler la droite à un peu plus de respect pour le troisième pouvoir, censé, il est vrai, être indépendant.
Il n’en reste pas moins que, en dehors de quelques candidats mineurs à la présidence, comme M. Cheminade et M. Mégret, le Conseil ne s’est jamais attaqué aux campagnes des grands partis auxquels il a parfois donné une absolution quelque peu hâtive. On n’oublie pas que Roland Dumas a déclaré, non sans cynisme, un jour à la télévision, qu’il avait fermé les yeux sur les comptes de campagne d’Édouard Balladur, alors qu’il présidait le Conseil. Propos d’une franchise paradoxale, qui ont d’ailleurs été confirmés en 2011 par l’un des membres du Conseil, le Pr Jacques Robert, qui a rapporté des déclarations de M. Dumas, lequel aurait dit : « Nous ne sommes pas là pour flanquer la pagaille » et aurait exigé que le Conseil redresse les comptes pour les faire entrer dans les limites prévues par la loi. C’était très immoral de sa part, mais quelque peu réaliste : que se passerait-il aujourd’hui si M. Sarkozy avait été réélu ? Que, soudainement, le Conseil constitutionnel s’achète une conduite, on ne peut que s’en féliciter, pour autant qu’il n’y ait pas été incité parce que, justement, il n’était pas obligéde réclamer desélections générales anticipées. Mais la seule idée que la majestueuse institution n’a pas toujours été blanche comme neige soulève un doute quant à la rectitude de sa décision de jeudi dernier.
Victime expiatoire ?
Force est de constater que, plus le gouvernement devient impopulaire, plus on parle de Nicolas Sarkozy, lequel, justement parce qu’il était membre du Conseil, n’ouvrait plus la bouche. Il n’y a pas de complot contre lui, mais nous assistons, depuis la victoire de la gauche à un redoublement du « Sarko bashing », un peu comme si l’ex-président devenait la victime expiatoire des revers essuyés par le président Hollande, ou comme si se formait une convergence mystérieuse, autour de l’homme qui a pourtant perdu la présidentielle de 2012, des ressentiments que nourrit un pouvoir épouvanté par l’éventuelle résurrection de celui qui refuse d’être un has been, par des médias qui ne l’ont jamais aimé et par des juges qu’il a maltraités et se vengeraient en conséquence, même si cette pensée est iconoclaste ou sacrilège.
Paradoxalement, cette conjonction des ressentiments donne des ailes à Nicolas Sarkozy. Le voilà qui peut en découdre avec ses détracteurs, en s’appuyant sur le soutien des militants de l’UMP (qui vont passer à la caisse pour combler le trou) et d’une forte partie de l’opinion publique. Le voilà, pratiquement, qui entre en campagne quelque 40 mois avant l’heure. Le voilà qui va rendre coup pour coup, dans un contexte où la crédibilité économique et sociale du pouvoir est chancelante. Il ne nous semble pas que cette précipitation des événements soit propice au redressement du pays, dont les plaies sont béantes et n’est toujours pas guéri. Nous avons moins besoin de politicailleries que d’une bonne gestion économique et sociale. Enfin, s’il est vrai que M. Sarkozy reste la star de ses partisans éblouis, il existe aussi contre lui, dans une large fraction de l’opinion qui regroupe toutes les gauches confondues et pas mal de gens au centre, une haine tenace, une antipathie viscérale, un rejet profond qui empêcheront peut-être son come back.
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