Aladjou Tchepan est installé depuis trois ans au terminal du Sahel, un quartier situé au nord de la capitale togolaise. À une cinquantaine de mètres de son officine flambant neuf, un dépôt pharmaceutique offre à la population les médicaments de première nécessité. Une concurrence déloyale et d’autant plus intolérable pour le jeune titulaire qu’aucun diplômé n’est à la tête de cet établissement. Cependant, Aladjou Tchepan a beau adresser courrier sur courrier aux autorités, le dépôt continue de le narguer. En toute légalité. Ces dépôts ont en effet été tolérés, sinon encouragés, à une époque pas si lointaine où le Togo ne détenait que très peu de pharmacies d’officine et ne produisait pratiquement aucun pharmacien diplômé. Les choses ont aujourd’hui changé, (voir encadré) mais ces structures subsistent.
Cet immobilisme n’est pas seulement néfaste pour l’économie des officines, il représente également une menace sanitaire. Car, dénonce Aladjou Tchepan, ces dépôts sont le nid des receleurs de faux médicaments qui entrent sur le territoire via les voies terrestres, au nord par le Burkina Faso, et à l’est par le Bénin en provenance du Nigeria. Ou par voie maritime. Rien d’étonnant qu’avec son port, le plus grand de l’Afrique de l’Ouest, Lomé soit particulièrement exposé aux risques des faux médicaments. Les douaniers n’ont visiblement pas la possibilité de vérifier le contenu de tous les containers, suggère le pharmacien.
Un circuit parallèle légal
Les faux médicaments ne sont pas au Togo, comme dans la plupart des pays de la région, la seule émanation de « la pharmacie par terre », métaphore qui symbolise les étals sauvages des marchés, ces produits vendus par les « bonnes dames » souvent six fois moins chers que le médicament authentique en pharmacie. Pour les pharmaciens, en lutte quotidienne contre les faux médicaments et leurs effets délétères, ces dépôts sont l’un des principaux ennemis à abattre. Installée près du port, Eunice Ahonsou est également confrontée tous les jours à cette concurrence déloyale qui attire les dockers, une population de journaliers qui « n’ont pas forcément les moyens ni les réflexes de s’adresser à un professionnel de santé ». Ce n’est pourtant pas faute de se mobiliser contre cette menace permanente de la vente illégale de médicaments sur la santé publique (l'OMS chiffre à 120 000 par an le nombre de décès d'enfants de moins de 5 ans sur le continent). Innocent Kpéto, président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens togolais, rappelle ainsi les nombreuses plaintes déposées contre les vendeurs de médicaments. « En février 2019, ils ont même poussé la provocation jusqu’à vouloir se constituer en syndicat pour défendre leurs intérêts ! J’ai alerté les pouvoirs publics et le ministère de la Santé pour rappeler que la pharmacie était une activité réglementée », s’insurge le pharmacien, installé non loin de l’université.
Informer et éduquer
Les pharmaciens togolais se considèrent comme des sentinelles qui, sur deux fronts, défendent le bon usage du médicament auprès de la population. Mais aussi auprès des autorités, trop souvent empêtrées dans leurs contradictions et des intérêts divergents entre ministère de l’Économie et ministère de la Santé. Car la lutte contre les faux médicaments est quotidienne auprès de patients mal informés. « Nous les voyons arriver avec les emballages de ces produits achetés au marché ou au dépôt. Trop souvent il est trop tard », soupire Eunice Ahonsou. Officinale par vocation, elle estime que la seule solution est la présence en continu du pharmacien au comptoir. Car martèle-t-elle, « il faut que nous soyons à notre poste pour accueillir le patient, lui expliquer, le sensibiliser, lui redonner confiance dans le médicament, ne pas vendre mais délivrer, et surtout pour trouver avec lui une solution face à ses difficultés financières ». Car le prix du médicament reste la première raison invoquée par les patients.
Générique et vente à l’unité
Face à ces considérations économiques, irréfutables dans un pays où seuls les fonctionnaires et les artisans détiennent une couverture maladie, les pharmaciens togolais déploient leur argumentaire. « Nous devons expliquer au patient combien des faux médicaments, et parfois même des faux vaccins, dépourvus d’effet, ou pire contenant des substances toxiques, leur reviendront plus cher. Certes, ils pensent faire une bonne affaire en payant 2 000 francs CFA (2) au marché une ordonnance qui leur serait facturée 10 000 francs CFA à la pharmacie. Mais les complications médicales qui s’ensuivront leur coûteront au final 50 000 francs CFA et leurs problèmes de santé ne pourront pas se résoudre dans la rue », déplore la jeune titulaire.
L’information du public est le fer de lance de l’action du Conseil de l’Ordre qui a mené une action de pédagogie auprès des médias sur le rôle du pharmacien et lancé une campagne de sensibilisation sur le faux médicament par voie d’affiches dans les écoles et en officine. Parallèlement, les pharmaciens ne peuvent rester insensibles aux arguments économiques de leurs patients. La promotion du générique est, selon eux, la première arme contre le faux médicament. « Notre tâche est de renforcer la présence du générique. La loi nous autorise à substituer. Nous devons le proposer systématiquement », explique Innocent Kpéto. Il n’exclut pas l’éventualité de le « vraquer » (vendre en vrac) pour s’adapter au pouvoir d’achat des patients, même si la vente à l’unité suppose un dispositif de traçabilité.
Tarir la demande pour combattre l’offre en faux médicament, tel est le dessein affiché par les pharmaciens togolais. Mais le président de l’Ordre togolais voit un autre danger se profiler. « Les ruptures d’approvisionnement et les pénuries de médicament au niveau mondial favorisent les contrefacteurs qui s’engouffrent dans ces nouvelles brèches », déplore Innocent Kpéto. Et d’adresser un appel aux autorités du marché français, partenaire historique des pharmacies togolaises. « La décision française d’interdire les exportations de certains médicaments en rupture, comme les corticoïdes, assèche notre marché et ouvre la porte à la contrefaçon », alerte le président du CNOP togolais. Il redoute particulièrement que ce phénomène frappe les médicaments des pathologies en hausse. Sans la garantie que demain il ne touche pas les anticancéreux.
(1) Togo, Congo-Brazzaville, Ouganda, Niger, Sénégal, Ghana, Gambie.
(2) 656 francs CFA = 1 euro.
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