Les cancers du sein métastatiques hormonodépendants sont généralement considérés comme résistants aux immunothérapies. Selon une étude pilote américaine, une nouvelle technique qui s'appuie sur les lymphocytes infiltrant les tumeurs (Tumor-Infiltrating Lymphocytes, TILs) est capable de faire régresser le cancer. Cet essai de phase 2, publié dans le « Journal of Clinical Oncology », a été mené par les chercheurs de l'Institut national américain du cancer de Bethesda, l'un des Instituts nationaux de la santé (NIH).
« Il existe une opinion très répandue parmi les spécialistes qui veut que les cancers du sein hormonodépendants ne soient pas capables de provoquer une réponse immunitaire, et ne sont donc pas éligibles à l'immunothérapie, explique le Dr Steven Rosenberg, directeur de la branche chirurgicale du centre de recherche de l'Institut du cancer aux États-Unis, qui a co-dirigé l'étude. Les données que nous avons publiées suggèrent qu'une forme d'immunothérapie peut être exploitée pour traiter certaines de nos patientes qui ont épuisé les autres options thérapeutiques. »
L'immunothérapie aide le système immunitaire du patient à combattre le cancer. Les traitements existants, tels que les inhibiteurs de checkpoint, n'ont qu'une efficacité limitée contre les cancers du sein hormonodépendants, la majorité des cancers du sein. L'immunothérapie s'est révélée efficace dans plusieurs cancers, en particulier les mélanomes qui cumulent de nombreuses mutations et donc de nombreux néoantigènes. Le cancer du sein, porteur de peu de mutations, semblait, jusqu'à présent, échapper à cette règle. Avec leurs travaux, les chercheurs de Bethesda prouvent le contraire.
Les TILs, une nouvelle arme
Les TILs ciblent les cellules tumorales exprimant à leur surface des néoantigènes tumoraux, ces protéines exprimées à la surface par les quelques mutations qui causent le cancer. L'identification de ces lymphocytes T intra- et péritumoraux pourrait aider à faire avancer le développement et l'efficacité d'immunothérapie personnalisée pour les patients non répondeurs aux traitements standards. L'équipe du Dr Rosenberg travaille à cette approche depuis la fin des années 1980.
Cette nouvelle étude a pour point de départ une étude de phase 2 menée par l'équipe du Dr Rosenberg et toujours en cours, visant à savoir si l'immunothérapie par TILs pouvait entraîner une régression tumorale dans plusieurs cancers épithéliaux métastatiques, dont le cancer du sein. En 2018, les chercheurs avaient constaté qu'une femme traitée dans l'essai pour un cancer du sein métastatique avait présenté une régression tumorale complète, autrement dit une réponse complète.
Des néoantigènes uniques à chaque patiente
Dans ce travail, les chercheurs ont commencé par réaliser des prélèvements tumoraux chez 42 patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique afin d'isoler et de cultiver des TILs. Ils ont ensuite identifié les mutations et les antigènes en résultant, puis ont procédé à un test de réactivité immunologique aux néoantigènes tumoraux.
Il s'avère que 28 de ces 42 patientes, soit 67 % d'entre elles, étaient porteuses de TILs qui reconnaissaient au moins un néoantigène, dont 13 hébergeaient des TILs ayant une réactivité robuste pour qu'on puisse les utiliser dans le cadre d'une autogreffe. La quasi-totalité des néoantigènes identifiés étaient uniques à chaque patiente.
« Il est fascinant de voir que le talon d'Achille de ces cancers réside précisément dans les mutations génétiques qui en sont à l'origine, s'amuse le Dr Rosenberg. Depuis l'étude de 2018, nous disposons d'information chez 42 patientes, montrant que la majorité donne lieu à des réactions immunitaires. »
Une fois cette étape passée, il ne restait que huit patientes dont l'état de santé était cliniquement compatible avec un transfert de ces TILs, qui avaient été préalablement multipliés en culture avec une phase d'amplification. Six d'entre elles ont effectivement été greffées après avoir reçu préalablement au moins quatre doses de pembrolizumab afin de prévenir l'inactivation des cellules T nouvellement introduites.
Une option hautement personnalisée mais encore expérimentale
Une réponse au traitement, caractérisée par une régression tumorale, a été observée chez trois patientes, dont une réponse complète chez la patiente de 2018 qui est toujours en rémission, 5,5 ans après le traitement. Chez les deux autres participantes, les tumeurs ont réduit en taille de respectivement 52 et 69 % pendant 6 et 10 mois. Lorsque les tumeurs de ces deux patientes se sont remises à grossir, leurs tailles étaient suffisamment réduites pour autoriser une résection chirurgicale. Ces deux femmes sont également en rémission, 5 ans et 3,5 ans après l'opération.
Les chercheurs reconnaissent que l'utilité du pembrolizumab, par ailleurs approuvé dans certains cancers du sein au stade précoce, pose question concernant son influence sur l'évolution de la thérapie par TILs. Il reste que l'inhibiteur de checkpoint s'est révélé insuffisant seul pour entraîner une diminution tumorale prolongée dans le cancer du sein métastatique hormonosensible.
Le transfert de TILs est « une option expérimentale hautement personnalisée pour les patientes atteintes de cancer du sein métastatique qui mérite davantage d’études au-delà de ce travail pilote », concluent les auteurs. Anticipant l'inauguration prochaine d'un centre dédié aux thérapies cellulaires à l'Institut du cancer, l'équipe compte inclure davantage de patientes dans l'essai en cours. Cette stratégie, qui a déjà produit des résultats durables dans d'autres types de cancer, à commencer par le mélanome métastatique mais aussi dans les adénocarcinomes, pourrait aussi être développée au-delà du cancer du sein.
N. Zacharakis et al. Journal of Clinical Oncology, février 2022. DOI: 10.1200/JCO.21.02170