Si les premiers écrits sur les rythmes biologiques des végétaux remontent au IVe siècle avant notre ère, suivis, longtemps après, au début du XXe siècle, d’observations sur les animaux, les premiers travaux sur les rythmes circadiens (et l’invention même du mot circadien) datent du début des années 1960. Notre horloge biologique, située au cœur du cerveau, dans l’hypothalamus, n’a même été identifiée que dans les années 1970. La chronobiologie, c’est-à-dire l’étude des rythmes biologiques dans l’organisme, est donc une discipline récente. Les découvertes marquantes, récompensées par un prix Nobel de physiologie et médecine en 2017, ont moins d’une vingtaine d’années.
Non pas une, mais des horloges biologiques
Petit rappel avant d’évoquer les effets négatifs sur la santé d’un dérèglement des rythmes circadiens, puis l’intérêt de tenir compte de ces rythmes pour mieux traiter les maladies. Chez l’Homme, presque toutes les fonctions physiologiques sont soumises au rythme circadien, généré par l’organisme lui-même. Grâce à l’horloge circadienne, la sécrétion de mélatonine débute en fin de journée, la température corporelle est plus basse le matin très tôt et plus élevée pendant la journée, etc. Cette horloge interne est composée de deux noyaux suprachiasmatiques contenant chacun des milliers de neurones dont l’activité électrique, oscillant sur environ 24 heures, est contrôlée par une quinzaine de gènes « horloge ». Mais ce cycle imposé par l’horloge interne varie entre 23 h 30 et 24 h 30 selon les individus (en moyenne 24 h 10 chez les personnes en bonne santé). Par conséquent, si l’horloge interne contrôlait seule le rythme biologique, sans être « remise à l’heure », nous nous décalerions tous les jours et finirions par dormir à des horaires différents, ce qui rendrait impossible la vie en société. L’horloge interne est donc resynchronisée en permanence par des agents extérieurs, dont le plus puissant est la lumière, captée au niveau de la rétine.
On sait aujourd’hui que si l’horloge interne est le métronome, il existe des horloges périphériques dans la plupart des organes (cœur, foie, reins, peau…) dont le fonctionnement repose sur des mécanismes moléculaires identiques. Celles-ci communiquent avec l’horloge interne et entre elles.
Des cycles circadiens souvent déréglés
La chronobiologie permet de mieux comprendre comment fonctionnent les cycles circadiens et de quelles façons nous les déréglons. Nos modes de vie modernes s’affranchissent de plus en plus des rythmes naturels : voyages long-courriers, causes de décalages horaires, écrans connectés en permanence, travail de nuit ou posté, emplettes tard le soir (voire la nuit dans certains pays) dans des centres commerciaux illuminés… Ces conduites et ces occupations inadaptées à l’Homme, animal diurne, perturbent les horloges biologiques et l’homéostasie et provoquent des maladies (lire ci-dessous).
Un exemple qui concerne beaucoup de monde : l’exposition excessive à la lumière bleue, émise en particulier par les écrans, surtout le soir, provoque un regain de vigilance et retarde l’endormissement, avec une dette de sommeil à la clé si l’heure du lever ne peut être retardée. Pour une même intensité lumineuse perçue, la lumière bleue LED active en effet 70 fois plus les récepteurs photosensibles non visuels de la rétine que la lumière blanche fluorescente de même intensité et génère ainsi le message d’une exposition massive à la lumière. De nombreuses études réalisées sur les enfants et les adolescents montrent qu’une heure et demie de sommeil en moins par nuit augmente le risque de troubles de l’humeur et d’échec scolaire, mais aussi de troubles métaboliques (surpoids, obésité, diabète), indépendamment de la sédentarité. Selon des études menées avec l’Inserm, une exposition de 10 à 15 minutes en début de nuit peut déjà supprimer la sécrétion de mélatonine et retarder l’horloge interne. Les mesures de prévention sont certes connues mais peu appliquées…
Les promesses de la chronopharmacologie
De la chronobiologie à la chronothérapie, il n’y a qu’un pas. De fait, il est aujourd’hui établi que les oscillations circadiennes peuvent modifier la sensibilité de nos cellules à de nombreuses molécules thérapeutiques. Des chercheurs ont trouvé que près de 2 000 médicaments interagissent avec les gènes dépendant de notre horloge biologique. Leur efficacité et leur toxicité peuvent donc différer selon les moments auxquels ils sont administrés. Autant tirer parti de ces variations… Quelques exemples. Des études cliniques avaient déjà montré que les antihypertenseurs pris le soir abaissaient davantage la pression artérielle, une méta-analyse d’études comparatives l’a confirmé et a également montré que l’aspirine à faible dose (75 à 100 mg) avait une efficacité supérieure sur la coagulation sanguine en cas de prise en soirée. Les corticoïdes, quant à eux, sont mieux absorbés entre 6 heures et 8 heures du matin, quand la production de cortisol est maximale. Ces différences de rythme semblent aussi influer en chirurgie. En 2017, une équipe lilloise a démontré que les patients opérés l’après-midi pour un remplacement de valve aortique récupéraient mieux que ceux opérés le matin. Explication : les complications myocardiques sont liées à une variation circadienne de la tolérance à l’hypoxie.
Les recherches en chronopharmacologie sont aujourd’hui très variées. En France, elles portent notamment sur l’hépatite fulminante provoquée par un surdosage de paracétamol, la stéatose hépatique, la douleur, l’épilepsie et la DMLA. Mais c’est surtout en cancérologie que les progrès sont sensibles grâce aux travaux menés sur les chimiothérapies administrées dans le cancer colorectal par Francis Levi à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif) et l’Inserm. Il a, entre autres, montré que le 5-fluorouracile était à la fois plus efficace et 5 fois moins toxique lorsqu’il était perfusé la nuit autour de 4 heures du matin.