Le Quotidien du pharmacien. - Dans vos récentes études économiques portant sur les résultats financiers des officines françaises, vous faites ressortir un agrégat que vous appelez « contribution économique des officines ». Comment le définissez-vous ?
Philippe Becker. - Aujourd’hui nous avons une difficulté, en tant qu’experts-comptables, pour analyser la rentabilité brute des pharmacies et surtout faire des comparaisons entre différentes typologies. Pendant longtemps lorsque les pharmaciens exerçaient en nom propre, l’indicateur de base était la marge brute d’autofinancement qui est égale au résultat net auquel on ajoute la dotation aux amortissements. Lorsque les pharmaciens ont massivement choisi l’association, nous avons opté pour l’excédent brut d’exploitation (EBE) qui permettait de situer les officines en faisant abstraction de la forme juridique. En effet, l’approche avec l'excédent brut d’exploitation permet de neutraliser à la fois la situation d’endettement de la pharmacie et, plus encore, de faire abstraction de la rémunération des titulaires.
En schématisant, le but est concrètement d’avoir un instrument de mesure qui ne soit pas perturbé par les choix des titulaires.
Christian Nouvel. - Oui, tout à fait. Comme le constatent parfois les lecteurs du « Quotidien du pharmacien », lorsque des études abordent le revenu du pharmacien, qu'elles émanent des Centres de gestion agréés, parfois de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) ou encore de sociétés d’études statistiques privées, toutes ont pour point commun de mettre en exergue la difficulté d’appréhender la rentabilité brute des pharmacies d’officines françaises.
En effet les populations étudiées sont disparates sur le plan des structures juridiques et surtout le poids des rémunérations des dirigeants n’est pas appréhendé de la même manière, selon que le titulaire exerce en nom propre, en société à l’impôt sur le revenu ou en société à l’impôt sur les sociétés.
Pourquoi ces « redressements » auxquels vous procédez ne peuvent être effectués que par des experts-comptables ?
Certes, ces « redressements » sont simples à faire mais ils supposent que l'on connaisse tous les éléments financiers qui les composent. Dans la majorité des cas, le document de base traité est la liasse fiscale qui ne comprend pas toutes les indications nécessaires.
Pour revenir à la notion de « contribution économique des officines », pourquoi ajouter un indicateur supplémentaire ?
Cet indicateur est tout simplement l’excédent brut d’exploitation auquel on ajoute les cotisations TNS (travailleurs non salariés) des titulaires ainsi que leurs rémunérations. Nous constatons depuis plusieurs années que ces cotisations qui représentent entre 2 à 3 % du chiffre d’affaires hors taxes deviennent également un poste sur lequel les titulaires font des choix qui influent de manière significative la rentabilité de leur pharmacie. Cela recrée de la disparité et en remontant d’un étage, nous rendons plus crédibles les comparaisons.
Lorsque vous évoquez les choix des titulaires en matière de cotisations personnelles, à quoi faites vous allusion ?
Il y a deux écoles. Le propos peut être résumé ainsi : ceux qui souhaitent avoir un bon niveau de protection sociale que ce soit sur le risque santé ou pour préparer leur retraite et ceux qui souhaitent cotiser au strict minimum de ce qui leur est imposé par la loi et qui optimisent leur retraite en investissant à l’extérieur de la sphère professionnelle.
Comment fait-on dans ce deuxième cas ?
Tout simplement en s’octroyant une plus faible rémunération de gérant ou d’administrateur et en optant alors pour le versement de dividendes ou encore en étant salariés dans les SELAFA* ou les SELAS. Sans porter de jugement sur ces pratiques, il nous semble nécessaire de neutraliser le poste cotisations TNS pour qualifier de manière plus précise la rentabilité brute des officines.
Selon vous, comment va évoluer la « contribution économique » en 2021 ?
Cet agrégat est sensible à deux paramètres qui agissent en sens opposés : l’évolution du taux de marge brute et celui du ratio frais de personnel sur chiffre d’affaires. En 2021 la marge brute va indiscutablement progresser selon nos premières estimations basées sur des bilans déjà clos. En revanche, nous ressentons de fortes tensions sur les coûts salariaux. Malgré cela, nous pensons que les résultats des officines seront à la hausse en fin d’année 2021!
* Société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA).