- N'hésitez pas à prendre du paracétamol si vous vous sentez patraque ; c'est tout à fait normal après la vaccination, explique Marion à la patiente en train de remettre son gilet.
- Je dois avouer que c'est la première fois qu'on me fait deux vaccins en même temps. D'habitude, ça passe comme une lettre à la Poste. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent cette fois-ci. En tout cas, merci beaucoup, et à dans six mois donc…
Après quelques secondes d'hésitation, la pharmacienne comprend la plaisanterie :
- Dans six mois, ah oui ! Et bien peut-être, ou peut-être pas. Ça, on ne sait pas encore.
- J'espère que cette foutue épidémie va nous laisser tranquilles. Allez, bonne journée, et merci encore…
Après avoir raccompagné sa cliente, Marion retourne vers le back-office pour vérifier la réception d'un médicament commandé le matin même. Il s'agit d'un anticorps monoclonal et le patient doit passer le récupérer dans l'après-midi. Alors qu'elle longe le préparatoire, son attention est attirée par une conversation murmurée. Par la porte entrouverte, elle aperçoit Christèle :
- Je ne peux pas ce soir. Je dois emmener Marius à son entraînement de natation. Demain, je te promets…
- Demain, toujours demain. J'en ai marre de cette situation, répond Théo agacé.
- Sois patient s'il te plaît. Ce n'est pas si simple que ça, poursuit Christèle en tentant de prendre la main du jeune homme.
- Et ici, tu comptes raconter quelque chose ?, rétorque l'étudiant en retirant sa main.
- Ça ne les regarde pas. C'est notre vie privée. Et puis de toute façon, tu es étudiant, tu ne vas pas rester ici.
- En fait, tu as honte de moi. Allez, laisse-moi.
Discrètement, Marion se glisse derrière une étagère, faisant mine de chercher dans les stocks de compléments nutritionnels oraux. Théo sort sans la remarquer. Quand la pharmacienne se décide à sortir de sa cachette, elle croise Christèle, les yeux rougis.
- Ça ne va pas Christèle ?, dit l'adjointe en essayant de masquer le trouble dans sa voix.
- Si, si. Mais je fais une allergie à mon mascara je pense.
De retour au comptoir, Marion a la tête ailleurs quand elle prend en charge une ordonnance d'antibiotiques.
- Je vous mets le générique, c'est la clarithromycine, explique la pharmacienne machinalement, en notant la posologie sur la boîte. Il vous faut autre chose Monsieur ?
- Non, non. J'ai encore des comprimés pour mon traitement contre la goutte. Je viendrai renouveler la semaine prochaine.
- Parfait. Bonne journée Monsieur.
La pharmacienne n'arrête pas de penser à la conversation qu'elle vient d'entendre. « Je me fais des idées. Ce n'est pas possible. Christèle a un mari. Elle nous en parle tout le temps. Ils devaient parler d'autre chose. »
- Madame ?
- Oui, répond Marion en sursautant.
- Vous êtes occupée, ou bien… ?, demande poliment un jeune papa, qui tient sa petite fille dans les bras.
- Non, enfin oui. Je vais m'occuper de vous, excusez-moi.
- En fait, le médecin m'a dit de prendre ce médicament, mais je crois qu'il m'en reste à la maison. C'est un antibiotique, c'est ça ?
Marion regarde l'ordonnance sur laquelle le médecin a prescrit de la clarithromycine :
- Oui, c'est un macroli…, oh ! dit soudain Marion en tapotant sur son ordinateur nerveusement tout en parlant à haute voix. Un macrolide, un macrolide et de la colchicine ! Mon Dieu…
Sans regarder le jeune homme, qui ne comprend rien à ce qu'il se passe, l'adjointe s'élance vers le parking pour tenter de rattraper le client précédent.
(À suivre…)