- Alors Julien, c'était comment l'Alsace ? On t'a manqué j'espère.
C'est l'heure de la pause. Depuis le début du confinement, Juliette, Christèle et Gisèle restent déjeuner à la pharmacie. D'une part elles évitent les trajets inutiles entre leur lieu de travail et leur domicile. D'autre part, et bien qu'à bonne distance les unes des autres, ce moment convivial leur donne du courage pour affronter l'après-midi.
- Ce n'était pas de tout repos. Trois personnes au lieu de sept… et des cas difficiles à gérer. Mais comme partout. En Alsace ou ici, les patients sont les mêmes finalement, répond le jeune homme avant de croquer dans son sandwich.
- Sauf que là-bas, ils sont plus touchés que nous par le Covid-19 ; ça doit être plus angoissant pour eux, non ? Et comment ça se passait à la pharmacie ? demande Christèle, intéressée.
Julien décrit l'organisation que Stéphanie, la titulaire de la pharmacie alsacienne, a mise en place :
- La pharmacie n'est ouverte que pour récupérer les ordonnances prêtes. Les médecins ont bien compris la situation et envoient systématiquement l'ordonnance à la pharmacie par voie numérique.
- En tout cas, ici, c'est très très calme, répond Juliette, dépitée. À part les demandes de masques… d'ailleurs, j'ai reçu un truc super sur WhatsApp. Une pharmacienne qui a changé les paroles de la chanson d'Angèle, "Balance ton quoi", pour parler de la gestion des masques. Attendez, je vous l'envoie.
- Tu devrais l'envoyer à Mme Tripaudien, ça la calmera peut-être !, plaisante Christèle.
Les trois femmes éclatent de rire. Julien ne comprend pas :
- Qu'est-ce qu'elle a Mme Tripaudien ?
- Ah mais oui, tu étais encore dans l'Est. Quelle histoire ! Pour faire court, Mme Tripaudien pense que son mari la trompe, parce qu'il a soi-disant contracté le Covid-19 alors qu'il est confiné depuis un mois et qu'il n'a vu personne… résume Gisèle.
- Personne, sauf la voisine, selon Mme Tripaudien, enchaîne Christèle. Elle leur apporte des œufs de ses poules. Et elle aussi semble avoir eu des symptômes de la maladie. Mme Tripaudien en a conclu qu'il y avait adultère.
- Et elle est venue vous raconter tout ça à la pharmacie ? poursuit Julien que l'histoire amuse de plus en plus.
- Ah ça aussi, quelle histoire ! Elle est arrivée, avec des lunettes de soleil, dès l'ouverture. Elle a demandé à voir un pharmacien. Ça tombe bien, j'étais là, explique Juliette. Elle m'a posé plein de questions sur la transmission du virus, les modes de contamination, etc. Je me suis bien dit que c'était bizarre, mais bon… et puis elle est partie.
- Deux heures après, coup de téléphone. Monsieur Tripaudien.
- Il voulait qu'on explique à sa femme qu'elle pouvait elle-même être à l'origine de sa contamination ; même sans avoir eu de symptômes. Enfin tu vois l'embrouille…, ajoute Gisèle.
- Elle est un peu parano Mme Tripaudien.
- Un peu ? Surtout qu'au final, ce n'était pas du tout le Covid-19. Les symptômes de son mari ont duré une journée.
- Être jalouse à ce point, c'est pathologique. Quant à la voisine, elle est revenue leur proposer des masques qu'elle avait cousus main. Et elle s'est pris un œuf sur la tête en remerciement, conclut Juliette.
Les quatre collègues éclatent de rire.
(À suivre…)