« Nous avons mis au point une méthode permettant à des embryons de souris de se développer hors de l’utérus de leur mère au cours d’une période de six jours, alors que les études précédentes avaient réussi à faire croître des embryons pendant 1,5 jour maximum, indique au « Quotidien » Alejandro Aguilera Castrejon, premier auteur de l’étude. Cela donne aux chercheurs une vision sans précédent de la formation des organes et des membres des mammifères, un processus jusque-là caché dans le corps de la mère. »
Après avoir prélevé des embryons à cinq jours de gestation dans l’utérus de souris, les scientifiques les ont placés dans un système mécanique leur permettant de se développer six jours supplémentaires − la durée de gestation moyenne étant de 20 jours environ chez la souris. « Notre système comprend des flacons rotatifs remplis de nutriments, dans lesquels sont capables de se développer des embryons de souris en dehors de l’utérus du 5e au 11e jour de développement, précise Alejandro Aguilera Castrejon. Pendant ce temps, l’embryon passe d’un amas de cellules à un animal avec des membres arrière formés et tous ses organes principaux. » Les chercheurs ont montré que ces embryons développés ex utero étaient identiques à des embryons développés in utero.
Depuis ces travaux, l’équipe est allée plus loin dans d’autres expérimentations. « Nous avons essayé de commencer la culture embryonnaire dès J0 au lieu de J5, explique le chercheur. Nous sommes parvenus à faire croître des embryons de J0 à J8 mais cela reste difficile de définir les conditions nécessaires pour une croissance optimale. »
Le chercheur estime qu’il est incorrect de parler d’utérus artificiel à ce stade. « Notre système imite l’environnement de l’utérus et fournit aux embryons les nutriments et l’oxygène dont ils ont besoin pour grandir, mais il ne permet pas d’aller au-delà du 11e jour de développement », nuance-t-il. En effet, le système tel qu’il a été conçu permet d’apporter les nutriments via un système de diffusion. « Or les embryons de plus de 11 jours de gestation ont besoin d’un apport continu en nutriments et en oxygène à travers le placenta et le cordon ombilical, souligne Alejandro Aguilera Castrejon. En théorie, si nous parvenons à créer un apport artificiel en sang, il serait possible de développer un embryon à terme. »
Cette perspective n’est pas sans soulever des questions éthiques, en particulier si le système était appliqué à des embryons humains. Toutefois, le chercheur estime qu’on est encore loin d’une telle approche et les réglementations sont très strictes à ce sujet.
Mieux comprendre les étapes du développement
Aujourd’hui, cette découverte va surtout permettre de mieux comprendre les différentes étapes du développement normal, ainsi que les potentielles anomalies qui peuvent survenir au cours de cette période. « Comprendre comment un embryon peut donner tous les types de cellules spécifiques du corps d’un mammifère est l’une des questions fondamentales en biologie, note Alejandro Aguilera Castrejon. Jusqu’à présent, la seule façon d’étudier le développement des tissus et des organes était de se tourner vers des espèces comme les vers, les grenouilles et les mouches qui n’ont pas besoin d’utérus pour se développer. » Pour le chercheur, une meilleure compréhension de l’organogenèse pourrait ouvrir la voie à la formation d’organes in vitro pour la greffe.
En parallèle de cette publication, deux autres études parues dans « Nature » viennent également bouleverser la recherche sur l’embryon. Deux équipes, l’une australienne et l’autre américaine, sont parvenues à fabriquer, in vitro, un modèle humain d’embryons obtenus à partir de cellules souches, sans fécondation. Il s’agit précisément de blastoïdes, qui correspondent à un stade embryonnaire très précoce et qui n’ont pas la capacité de devenir un futur bébé. Néanmoins, cette découverte aussi a de quoi susciter des réflexions éthiques.