Mesure-t-on la richesse de son histoire au nombre de noms que l'on a porté ? C'est plus que probable si l'on considère la palette de termes utilisés pour désigner l'Eau de Mélisse des Carmes : eau-remède, élixir, remontant, réconfortant et même formule magique… De magie, il est peut-être question au vu des époques que l'eau vertueuse a traversées et des personnages historiques qu'elle a côtoyés.
Début XVIIe, encouragée par Marie de Médicis, la confrérie de l'ordre des Carmes Déchaussés s'installe rue de Vaugirard à Paris, où elle fonde son couvent. Parmi leurs diverses occupations, les moines ont développé une aptitude certaine à pratiquer la phytothérapie à travers l'étude des simples, plantes médicinales utilisées à l'état naturel. Au sein d'une distillerie aménagée dans l'enceinte du couvent, ils composent de savantes associations de plantes fraîches et d'épices aux vertus thérapeutiques qu'ils n'hésitent pas à commercialiser. Un médecin, phytothérapeute convaincu, va leur souffler une recette inédite, faisant la part belle à la mélisse dont les feuilles renferment des propriétés multiples : calmante, mais aussi tonique, la plante est utilisée en cas de vertiges, troubles nerveux, déficience physique et fatigue. Stomachique, elle a une action apaisante sur le système digestif et dispose aussi d'un effet antispasmodique. Le père Damien s'empresse de formuler le mélange prometteur qui, en tout, comporte 14 plantes - mélisse, angélique, marjolaine, sauge, muguet, primevères… - et 9 épices : cannelle, coriandre, muscade, santal…
Une eau à 60 000 livres
Diffusée par les médecins, portée de bouche-à-oreille, la nouvelle de l'arrivée d'un élixir vertueux va faire le tour de Paris jusqu'à atteindre les personnalités les plus en vue. Convaincue de ses bienfaits, la duchesse de Bourgogne fait l'éloge de l'eau-remède auprès du roi Louis XIV qui décide d'accorder l'exclusivité de son élaboration au couvent des Carmes Déchaussés en lui délivrant ses lettres patentes. La notoriété du petit flacon ne va cependant pas s'en tenir là. Bientôt sa renommée franchit les frontières de la France pour rayonner dans de nombreux palais d'Europe. Mais quand sonne l'heure de la Révolution, la propriété comme la religion ne sont plus en grâce. Les religieux se voient confisquer biens et richesses et le couvent des Carmes doit abandonner son Eau de Mélisse aux mains de l'État. Les moines ne renoncent pas pour autant. Profondément déterminés à récupérer la propriété du précieux remède, ils vont contourner les injustices du régime en place en utilisant ses propres outils : on voit alors 45 carmes, personnification du culte religieux, se regrouper en société civile pour racheter à l'État, auquel elle verse 60 000 livres, les droits de fabrication de l'Eau de Mélisse. Quand, peu après 1830, le dernier des moines du couvent des Carmes rejoint son créateur, l'élixir deux fois centenaire échoit à ses associés, Messieurs Raffy et Royer. La société qu'ils ont fondée sera rachetée en 1838 par Amédée Boyer, tirant un trait définitif sur l'époque monastique de l'eau-remède.
Dès lors, la famille Boyer va présider au devenir de l'Eau de Mélisse. Soucieuse de conserver à la formule tout son prestige, elle lui laisse le premier rôle dans le nom qui rebaptise la Maison : Eau des Carmes Boyer. Puis l'ère industrielle emporte la petite fabrique dans son sillage. La distillerie devient un atelier de fabrication qui quitte Paris pour déménager à Courbevoie. Cent ans plus tard, l'usine s'installera définitivement à Carrières-sur-Seine. Mais l'élixir ne renoncera pas à son mode de fabrication, largement artisanal. Cultivées, pour la plupart, sur le terrain voisin de l'atelier, les plantes fraîchement récoltées sont traitées selon un procédé long et minutieux d'où résultera la précieuse préparation. Dans un premier temps, elles sont placées dans des pots remplis d'alcool de betterave où elles vont macérer pendant plusieurs mois. Puis la macération subit deux étapes de distillation, la première réalisée à partir d'une seule plante, la seconde réunissant les 14 plantes dans une même cuve. Le mélange ainsi obtenu est additionné de 9 épices dans des proportions variables mais conséquentes. 5 kg de coriandre et 1,5 kg de cannelle sont, notamment, requis par la préparation qui nécessite également une quantité impressionnante de végétaux, deux tonnes de feuilles pour la seule mélisse. Une troisième distillation est alors lancée qui donnera naissance à l'Eau de Mélisse des Carmes.
Quatre siècles d'expérience
Le fluide prodigue est dès lors prêt à être mis en flacon dont trois formats existent : flacon double de 10 cl, simple de 5 cl et poche de 4 cl. Entièrement naturelle, sa formule répond aux troubles digestifs, aux états de stress, au mal du transport, aux malaises dus à la chaleur, aux chutes, coups ou émotions fortes. Son administration, essentiellement par voie orale, s'intègre facilement aux habitudes d'alimentation : 3 à 4 gouttes sur un sucre, 3 à 4 cuillères à café dans un verre d'eau ou dans une tisane, quelques gouttes sur un poisson, des légumes ou même flambées sur un dessert… Mais l'élixir peut aussi s'utiliser pur, en friction sur la peau.
Témoin d'un savoir-faire ancestral, l'eau-remède demeure l'emblème de la Maison Eau des Carmes Boyer. Son dirigeant Jean-Brice Lagourgue, dernier en date issu de la lignée familiale, reste fidèle à l'esprit artisanal qui caractérise sa marque. « Nous sommes des artisans qui s'appuient sur un savoir-faire transmis de génération en génération dans ma famille. » Ce qui n'empêche pas l'innovation, qui a conduit l'entreprise à diversifier son offre en lançant différentes gammes de produits - tisanes, huiles essentielles, eaux florales, savons, bougies, parfums d'intérieur - relevant toutes d'une expertise dans le traitement des plantes aromatiques et médicinales. « Notre développement est lié à la capacité d'innover et de fabriquer des produits fidèles à la tradition ancestrale de notre marque. »
Toute dernière expression de sa vocation, la maison présente deux lignes à la composition naturelle, eaux de parfum et brumes parfumées, fortes de quatre fragrances chacune : notes boisées, duo épicé poivre-coriandre, notes florales et ambrées, touches acidulées et fleuries de géranium, néroli, verveine gouvernent la première ; senteur sucrée de figue gourmande, puissance des épices, notes voluptueuses d'ylang-ylang, palette acidulée de l'ambre des Carmes dominent la seconde. Ces eaux parfumées, à la suite de l'élixir phare et des autres gammes de la Maison, viendront agrémenter les rayons des officines, mais aussi ceux des magasins bio et des épiceries, en France comme à l'étranger. Un enjeu de taille pour Jean-Brice Lagourgue, qui n'imagine pas poursuivre l'aventure sans y associer tous ses collaborateurs : « Mon ambition est de perpétuer notre expertise ancestrale afin de l'élargir aux compétences nouvelles en favorisant la formation, le recrutement ou encore le développement personnel. »