Si elle a levé le voile sur de nouveaux pans de compétences, engendrant un sursaut d’activité, la crise sanitaire marque profondément l’économie officinale. Les premiers mois de 2021 ne sont cependant en rien comparables avec ceux que la pharmacie a connus lors du premier confinement en mars 2020. Pas d’effondrement brusque mais une érosion certaine et une difficulté à maintenir la vitesse de croisière. Parallèlement, des signaux plus optimistes sont perceptibles, tels le volume des ventes (sell-out) en regain de 2,1 % depuis le début d’année par rapport à 2019 (+4,1 % entre le 1er avril et le 15 mai), selon les données communiquées par GERS DATA (1).
Preuve du caractère exceptionnel de l’année 2020, les courbes de l’exercice actuel collent plus à celles de 2019 qu'à celles de l’année passée. Faut-il y voir le signe d’une rémission proche ? « D’après les échos que nous avons de nos clients, la situation reste très instable avec des chiffres positifs certains mois et une baisse subite le mois suivant. Nous aurons plus de visibilité en fin d’année, mais il est d’ores et déjà certain que la crise a redistribué les cartes, favorisant les officines de proximité qui ont conforté leur place auprès de la population. À voir si la réouverture des commerces et des restaurants va agir sur la fréquentation des pharmacies des centres commerciaux et des cœurs de ville », commente Olivier Desplats, expert-comptable, cogérant de la société Flandre Comptabilité Conseil.
Des signes de reprise
De manière globale, à la lecture des données du GERS DATA, un timide redressement de la situation s’observe. Ceci est particulièrement vrai pour le médicament remboursable (TVA 2,1 %). Cette activité, qui constitue en moyenne 71 % du chiffre d’affaires de l’officine, a progressé de 3 % depuis le début de l’année (5 % depuis le 1er avril) par rapport à 2019. Même si, mettent en garde les experts-comptables, cette croissance est en grande partie générée par les médicaments chers.
Raison de plus pour que cette timide reprise ne suffise pas à elle seule à tirer d’affaire l’économie officinale. D'autant que, dans un contexte de baisses de prix – 350 millions d’euros d’économie ont déjà été réalisés sur un objectif annuel de 600 millions d’euros -, un autre voyant reste au rouge. Il s’agit des prescriptions de ville qui représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires de l’officine. Elles subissent à nouveau un recul, à -3 % depuis janvier. La barre se redresse doucement, à – 1 % sur les six dernières semaines, signe d’un frémissement chez les médecins généralistes dont les consultations ont augmenté de 29 % depuis le 1er avril.
La reprise s’observe également dans les cabinets des pneumologues et des gastro-entérologues. À l’inverse, psychiatres, rhumatologues, gynécologues et neurologues continuent d’accuser le coup avec des baisses de fréquentation de 2 à 14 %. Cette dernière tendance ne doit cependant pas être surévaluée, selon Olivier Desplats, car, indique-t-il, une baisse des ventes de médicaments chers prescrits par des spécialistes n’a pas d’impact significatif sur la marge. « Il faut perdre l’habitude d’avoir les yeux rivés sur le chiffre d’affaires dont la baisse ne se traduit pas systématiquement par une baisse de marge. C’est donc bien l’évolution de la marge qu’il faut avoir à l’œil, et ce de manière constante », recommande l’expert-comptable. Toujours sur le volet de la marge, son confrère Joël Lecoeur, expert-comptable codirigeant du cabinet LLC, note l’influence de la baisse du nombre de consultations médicales sur les honoraires de dispensation et plus particulièrement les honoraires à l’ordonnance. La marge directe s’en trouve par conséquent pénalisée !
Une fréquentation à surveiller
C’est dire si l’économie officinale reste suspendue aux soubresauts de la pandémie et des mesures de confinement. Ils se traduisent, en termes de santé publique, par une recrudescence du diabète, de l’hypercholestérolémie, de la dépression et de l’hypertension artérielle, tandis que l’asthme, la BPCO et les AVC, dans une moindre mesure, reculent.
Sans parler des pathologies hivernales dont la route fut barrée par le masque et les gestes barrières. Les données du GERS DATA en attestent. La baisse de 1 % de l’activité « conseil » par rapport à 2019 est encore plus flagrante dans la classe des produits à TVA 10 % dont les ventes dégringolent de 12 %. Et ce en dépit d’un panier moyen qui grossit de 8,9 % par rapport à 2019 et même de 12,2 % en ce qui concerne les produits de confort respiratoire.
Pour positive qu’elle soit, cette tendance doit être relativisée face à une érosion de la fréquentation des officines, de l'ordre de 5 % comparé au trafic observé en 2019. Ce recul atteint même 20 % dans les pharmacies dont le chiffre d’affaires est supérieur à 7 millions d’euros. À l’autre bout de l’échelle, les officines au chiffre d’affaires inférieur à 1,490 million d’euros subissent une baisse de fréquentation de 15 % par rapport à 2019. « Comme l’évolution de la marge, cet indicateur est à surveiller de près. Si la chute se confirme, le titulaire doit évaluer sa capacité à retenir ses clients, notamment en leur offrant les services qu’ils attendent », suggère Olivier Desplats. Nouvelles lignes de services dans les bilans comptables, la vaccination et les tests antigéniques sont aujourd’hui un passage obligé dans l’évolution de l’exercice officinal. Elles n’en sont pas moins surveillées de près car ces nouvelles missions peuvent générer une hausse substantielle des frais de personnels. 6,48 millions de tests antigéniques ont été réalisés en officine depuis le 1er janvier, selon les données du GERS DATA (2). Pour la moitié du réseau officinal qui les réalise, ces tests représentent un effet d’aubaine, relève Joël Lecoeur, « ils permettent de dégager une marge de 4 600 euros en moyenne, ce qui n’est pas neutre ». Pour autant, les titulaires ne peuvent à terme capitaliser sur cette activité qui sera vraisemblablement supplantée par la vaccination. Une mission promise à un avenir plus durable. Pourvu que les vaccins à ARN messager s’implantent pleinement en officine.
(1) Du 1er janvier au 15 mai 2021.
(2) Les autotests autorisés à la vente depuis le 12 avril se sont quant à eux écoulés à 1,8 million d'unités et représentent désormais plus d’un test Covid sur 3 en officine.