Dans son bureau, J-C est en grande discussion téléphonique avec l'élu ordinal du secteur. Il lui demande conseil sur la marche à suivre, tandis que le groupe d'antivax hurle en chœur des slogans contre le passe sanitaire et contre le gouvernement.
- Karine ? Elle n'est pas là. Elle a pris sa semaine. Son fils entre au collège. Et puis comme tout le monde, nous n'avons pas pris beaucoup de vacances cet été. Bref. Qu'est-ce que tu me conseilles ? Ces excités effraient les clients avec leurs cris. Ce n'est pas tolérable, explique le titulaire à son confrère, tout en gardant un œil sur le parking.
- Les forces de l'ordre doivent être présentes, tu les vois ? Va les trouver pour faire circuler tout ce petit monde…, répond l'interlocuteur. Et surtout, tu déclares la moindre agression, même verbale, auprès de l'Ordre.
- Tu penses qu'ils pourraient devenir violents ?
- Normalement non, ils sont sous bonne garde ; mais il suffit d'un élément déclencheur… Regarde ce qu'il s'est passé cet été ! Certains meneurs sont dangereux. Prends toutes les précautions pour ta pharmacie, tes clients et ton équipe.
J-C repose son smartphone sur le bureau. Il jette une dernière fois un coup d'œil sur le parking. Une cinquantaine de personnes sont assises, bloquant l'accès au parking de la pharmacie. Sur les banderoles, on peut lire des slogans comme « Défendons notre liberté » ou encore « Le passe ne passera pas ». Parmi les manifestants, le pharmacien reconnaît quelques patients de la pharmacie.
- Tiens, Madame Bernard. Ça ne m'étonne pas, marmonne-t-il en rabaissant le rideau de la fenêtre.
Quelques minutes plus tard, J-C rejoint Marion et Jean-Paul, toujours en grande conversation avec la représentante des manifestants.
- Vous ne pouvez pas bloquer un service de santé comme la pharmacie. Que vous protestiez, c'est votre droit. Mais pas ici !, s'énerve-t-il sans même écouter les propos de la jeune femme. Je vais demander aux gendarmes d'intervenir.
Alors qu'il franchit la porte de la pharmacie, J-C s'arrête brutalement, les yeux fixés sur une jeune fille. Celle-ci soutient son regard.
- Camille ? Mais qu'est-ce que tu fous là ?
- Je me bats pour notre liberté papa. On veut pas être des moutons comme vous. Ce passe sanitaire, c'est une atteinte aux droits de l'Homme.
Ravalant la colère qui monte, J-C lui répond sèchement :
- Tu vas surtout aller te débarbouiller et filer au lycée. Je te rappelle que tu es en terminale maintenant. Et qui dit terminale dit bac à la fin de l'année. Alors tes grandes idées sur la liberté, tu les gardes pour l'épreuve de philo.
Le pharmacien attrape sa fille par le bras pour la relever. Voyant celle-ci se débattre, un des manifestants se met à crier :
- Agression, agression !
La foule se relève d'un coup et se resserre autour du titulaire. La tension monte. Autour d'eux, les gendarmes se mettent en cercle, prêts à intervenir.
- Holà, c'est pas une agression. Je suis son père et elle est mineure. J'ai quand même le droit de lui ordonner de rentrer, non ?, tente J-C. Camille, on discutera plus tard, j'écouterai tes arguments. C'est promis. Mais maintenant, tu rentres.
- Et pourquoi votre fille n'aurait pas le droit de défendre ses propres opinions ? Vous êtes peut-être pharmacien, mais vous n'avez pas la science infuse, lui lance un septuagénaire habillé d'un gilet jaune.
- Je pense surtout que vous vous trompez d'ennemi. Et puis cessez de manipuler les gosses. Mai 68, c'est fini !
(À suivre…)