Qualité de vie, intérêt de l’exercice, rémunération attractive : les raisons de choisir la Suisse ne manquent pas, mais le système de santé et de protection sociale, d’inspiration très libérale, peut nécessiter un temps d’adaptation.
Si l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) équivaut grosso modo à un ministère, l’essentiel des compétences sanitaires reste entre les mains des 28 cantons. Leurs différences peuvent être sensibles, et ce encore plus entre les cantons alémaniques et les cantons romands, francophones. Par ailleurs, il n’y a pas d’assurance maladie publique : les Suisses sont uniquement tenus de souscrire une assurance santé de base, dite LAMal, auprès de l’assureur de leur choix. Les primes payées varient en fonction du montant des franchises annuelles choisi par les assurés, ainsi que de leur canton et de leur sexe. Ils peuvent compléter les prestations non prises en charge par la LAMal par une assurance facultative, par exemple pour le financement des médecines complémentaires.
Toute personne peut posséder une pharmacie en Suisse, sous réserve qu’un pharmacien la gère sur place. La moitié des officines appartiennent à des chaînes et la plupart des officines indépendantes font partie de groupements, avec souvent une enseigne commune. Les pharmaciens sont loin d’être les seuls à vendre des médicaments, y compris prescriptibles : dans la plupart des cantons alémaniques, en particulier dans la région de Zurich, les médecins disposent d’une petite pharmacie et dispensent eux-mêmes leurs prescriptions, un système plus rare en Suisse romande. En outre, les drogueries vendent librement des OTC, les hôpitaux de plusieurs cantons peuvent délivrer des médicaments et les ventes en ligne concernent tous les médicaments, dès lors qu’elles sont assurées par une pharmacie autorisée.
Des règles plus strictes
En mai dernier, la Suisse a durci les conditions d’accueil des travailleurs étrangers sur son sol, ce qui concerne donc aussi les professions de santé, et rallonge les procédures de reconnaissance des diplômes, auparavant calquées sur celles de l’Union européenne. Toutefois, il reste bien sûr possible d’exercer en Suisse en tant que pharmacien diplômé dans l’Union, les règles étant plus strictes pour les diplômes passés hors de l’UE. Outre la validation du diplôme, effectuée par l’OFSP, les pharmaciens doivent obtenir une autorisation cantonale pour exercer dans le canton de leur choix. Elle dépend notamment des capacités linguistiques du candidat, qui sera amené à les démontrer, sauf s’il a passé son diplôme dans la langue officielle du canton concerné. Cela explique logiquement pourquoi les pharmaciens français exercent surtout en Suisse romande, leurs confrères allemands choisissant plutôt la Suisse alémanique et les Italiens le canton italophone du Tessin. En outre, depuis 2018, tout pharmacien désirant exercer en officine doit effectuer deux années de spécialisation dites « FPH officine » avec des cours et des stages, y compris les pharmaciens ayant travaillé auparavant dans l’industrie ou à l’hôpital. Cette obligation est souvent perçue comme une contrainte par les intéressés, qui doivent de surcroît la financer eux-mêmes.
Céline Courmont dirige depuis 2019 la Pharmacie 24 de Lausanne, une grande officine appartenant à des actionnaires, en majorité pharmaciens, qui lui en ont confié la gérance. Cette pharmacienne française, formée à Lille, a trouvé en Suisse un mode d’exercice très différent de ce qu’elle connaissait en France : « Ici, les pharmaciens font beaucoup de préparations, auxquelles les assistants, c’est-à-dire les équivalents des préparateurs, ne sont pas formés », dit-elle. Son officine effectue de nombreuses activités spécialisées pour les hôpitaux de la région, dont beaucoup de préparations stériles. Elle mène des partenariats avec des services de soins infirmiers pédiatriques et collabore avec la policlinique d’addictologie. Par ailleurs, elle assure plusieurs vaccinations telles que grippe, Covid, vaccination contre les tiques, rappels d’hépatite A et B, et ROR. Les pharmaciens peuvent consulter sur place, prescrire et délivrer des médicaments. L’officine est un véritable point d’accès aux autres structures de santé : « nous pouvons orienter les patients vers des services d’urgence, dont nous connaissons la disponibilité en temps réel », poursuit-elle.
Des salaires attractifs
Ouverte 7 jours sur 7 de 8 heures à minuit, la Pharmacie 24 n’emploie pas moins de 20 pharmaciens, dont 17 adjoints. Il n’y a pas de grille de salaires pour les adjoints, lesquels négocient leurs émoluments avec la pharmacie. Les rémunérations peuvent paraître très élevées, avec des salaires d’embauche tournant autour de 6500 à 8000 Francs suisses brut par mois, soit presque autant d’euros. Toutefois, le coût de la vie en Suisse est bien supérieur à celui des pays limitrophes. « Il faut tenir compte en particulier du coût du logement, ainsi que de celui des assurances, précise Céline Courmont, mais il n’en reste pas moins qu’un pharmacien s’y retrouve très bien, surtout lorsqu’il progresse dans la carrière. »
Laurent Schneider est pharmacien et membre de la direction de la chaîne BENU, forte de 90 officines. Il observe que malgré les salaires importants, qui correspondent il est vrai à 42 heures de travail hebdomadaire, il devient difficile de recruter des pharmaciens gérants ou adjoints. Selon lui, le « diplôme FPH de spécialiste en officine » valorise et spécialise le métier officinal, mais sa durée et son coût peuvent expliquer la baisse du nombre de postulants qu’il constate actuellement.
Formé à Strasbourg et adjoint depuis quelques années dans une officine du canton du Jura, Thomas Schaeffer ne peut que se féliciter d’avoir choisi la Suisse : « Ici, j’utilise entièrement mes compétences apprises à l’université », dit-il. En plus du travail classique du pharmacien, nous avons un rôle d’aiguilleur/dispatcheur, poursuit-il : « Les soins coûtent très cher, donc le patient vient d’abord demander conseil au pharmacien, et c’est nous qui jugeons si nous pouvons gérer la pathologie ou s’il faut lui conseiller de contacter son médecin ou d’aller à l’hôpital. Nous sommes formés à l’identification de plusieurs pathologies, comme les angines, les infections urinaires, les otalgies, les orgelets, et pouvons délivrer des médicaments, y compris des antibiotiques si besoin, puis mener un suivi téléphonique. » Enfin, il estime que « les patients suisses sont à l’écoute, demandent conseil et nous font confiance ».