Changer, pour quelques heures, quelques jours, de lieu d’exercice, s’engager en faveur d’un autre public, répondre aux besoins de l’urgence, approcher les professionnels du secourisme… Une voie empruntée aujourd’hui par quelque 400 pharmaciens pompiers volontaires qui ont décidé de consacrer leur temps libre à un service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Parmi eux, Amandine Saint Aubin, adjointe dans une officine d'Yvetot, exerce en tant que sapeur-pompier volontaire à la PUI (pharmacie à usage intérieur) du SDIS76, en Seine-Maritime. « J'ai été diplômée de la faculté de pharmacie en 2019 et deux ans plus tard, j'étais engagée au sein d'un service de secours.» C'est la crise sanitaire qui est venue bouleverser un parcours tout tracé. «Un centre de vaccination contre le Covid-19, géré par le SDIS, a eu besoin de renfort pour administrer les vaccins. J'ai répondu à l'annonce parce que je pratiquais beaucoup la vaccination à l'officine. » Amandine signe alors un contrat renouvelable d'une durée de cinq ans et débute sa collaboration au grade de pharmacienne capitaine de sapeurs pompiers. Dès lors, tout le temps qu'elle ne passe pas à l'officine est consacré à vacciner à tour de bras les patients qui se présentent, ce qui ne la change pas fondamentalement de sa pratique en ville.
Du métier à la mission
Quand, en mars 2022, le centre de vaccination ferme ses portes, le lieutenant-colonel de la PUI demande à Amandine de poursuivre son travail auprès du SDIS76. Elle va alors découvrir ce que recouvre réellement le poste de pharmacien pompier volontaire. «C'est un métier différent de celui d'officinal, plus ciblé car on gère essentiellement les médicaments à utiliser dans les situations d'urgence ainsi que les antidouleurs. » Au sein d'une équipe composée d'un pharmacien pompier professionnel, un logisticien et/ou une préparatrice ainsi qu'un étudiant en pharmacie, elle remplit différentes missions : préparer les médicaments de l'ordonnancier qui serviront lors des interventions d'urgence, organiser leur transport jusqu'aux casernes, préparer les kits d'urgence qui doivent être prêts à l'emploi et faciles d'utilisation dans les situations extrêmes (accouchements inopinés, attentats, accidents graves...) et prévoir les stupéfiants à administrer en cas de forte douleur mais aussi gérer les dispositifs médicaux destinés à la médecine du travail dans le cadre du suivi de santé des pompiers...
Pouvoir pratiquer les deux activités est une chance mais l'une est un métier et l'autre une mission
Amandine
Un peu de la fascination qu'elle éprouve transparaît dans le discours d'Amandine quand elle évoque l'univers du secours d'urgence mêlant dévouement extrême et danger absolu. «J'ai rencontré des gens passionnés, captivants, que je n'aurais pas pu croiser ailleurs. Collaborer à un SDIS est certes un challenge mais aussi une opportunité qui ne se présente pas deux fois. » Fière d'avoir intégré ce milieu singulier, peu visible, et d'y acquérir de nouvelles connaissances, elle apprécie autant son travail à l'officine et le contact si précieux avec la patientèle. «Pouvoir pratiquer les deux activités est une chance mais l'une est un métier et l'autre une mission. » Tout aussi enthousiaste, Florence résume en quelques mots les avantages multiples que lui confère sa casquette de pharmacienne pompier volontaire : «On porte un uniforme, on est utile, on a le sentiment d'appartenir à quelque chose de grand, une entreprise de secourisme qui nous rend fière. C'est aussi une expérience très formatrice qui permet d'utiliser son diplôme de pharmacien différemment qu'à l'officine.»
Combiner deux exercices
Engagée auprès du SDIS44 depuis dix ans, Florence a découvert le volontariat à l'occasion d'un déménagement, contrainte de quitter son officine pour suivre son mari muté à Nantes. Arrivée en 2014 dans la ville portuaire, l'adjointe peine à trouver du travail quand son parrain, médecin auprès du SDIS22 à Saint Brieuc, lui parle de son engagement dans le secourisme. Alors qu’elle se sent désœuvrée, l'idée de retrouver une activité au sein d'une PUI lui plaît et elle ne tarde pas à contacter les services de santé et de secours médical de Nantes. Par chance, le SDIS44 vient d'élargir le champ de ses missions et il recrute. Florence intègre la PUI en tant que pharmacienne sapeur pompier volontaire et, dans le même temps, trouve un poste à temps partiel dans une officine nantaise. «Combiner les deux types d'exercice me plaît», conclut-elle, en insistant sur l'intérêt d'acquérir des connaissances, une stimulation que lui offrent la filière du secourisme et ses protocoles régulièrement renouvelés. Sibel Gülcan, pour sa part, n'a intégré la PUI du SDIS de Perpignan Nord que depuis trois ans mais elle s'y sent entourée comme si elle était en famille. Pourtant, elle ne consacre que deux à trois jours par mois à sa mission qui consiste à contrôler les commandes destinées aux casernes, à préparer les ampouliers, à gérer les stocks de produits de santé, à délivrer les stupéfiants pour les infirmiers, à assurer la matériovigilance, le tout additionné d'un peu d'organisation interne.
On porte un uniforme, on est utile, on a le sentiment d'appartenir à quelque chose de grand
Hasard de la vocation
Son engagement restreint lui laisse cependant une grande liberté : «En accord avec la pharmacienne chef de la PUI, je décide de mes disponibilités sachant que je peux être d'astreinte le week-end ou encore être appelée en cas d'urgence. Un impératif dont ma titulaire, à l'officine, a connaissance mais qui ne s'est pas produit pour l'instant. » Ce planning très souple n'empêche pas Sibel d'avoir une conscience aiguë des portées de son engagement au service des pompiers et des personnes en détresse. «Je suis heureuse de mettre mes connaissances et mon temps à disposition d'une entreprise de secourisme. » Cette activité, qui la satisfait tant aujourd'hui, lui serait pourtant restée inconnue si une urgence ne s'était pas présentée il y a trois ans dans l'officine où elle exerce. «Je ne savais qu'on pouvait être pharmacien pompier. Je l'ai découvert quand un homme en détresse s'est présenté à l'officine et que j'ai dû le prendre en charge.» Elle a alors les bons réflexes, mesure les paramètres vitaux, effectue les gestes appropriés... Un comportement parfaitement adapté, ce que lui révélera après coup le pompier, appelé pour secourir le patient. Et incitera judicieusement l'adjointe à rejoindre la filière du secourisme.
Trois questions au…
Lieutenant-colonel Vivien Veyrat*
Le Quotidien du pharmacien. – Quels sont les prérequis pour exercer en tant que pharmacien pompier ?
Vivien Veyrat. – Deux voies sont possibles : celui qui veut en faire son métier et devenir pharmacien pompier professionnel doit être titulaire du DES de pharmacie hospitalière, une obligation imposée par la réforme du 3e cycle des études en pharmacie. Si bien que, désormais, la filière n'est accessible qu'aux internes de pharmacie hospitalière. Après son internat, le candidat devra passer le concours de la fonction publique territoriale puis être recruté au sein d'un département avant de partir en formation durant plusieurs mois à l'école des officiers d'Aix-en-Provence. À l’issue de son parcours, il sera devenu fonctionnaire de la fonction publique territoriale et pourra débuter son métier de pharmacien pompier professionnel.
La deuxième voie est celle du volontariat qui permet à tout type de pharmacien, quelle que soit sa filière, d'exercer dans une pharmacie à usage intérieur de SDIS en tant que pharmacien pompier volontaire. Il s'engagera alors, par contrat, à remplir sa mission durant une période de 5 ans selon ses disponibilités. Une formation - un DIU (diplôme interuniversitaire) à passer dans les facultés de Bordeaux et de Limoges, deux modules (secourisme et culture de la sécurité civile) à suivre au sein de l'école des officiers d'Aix-en-Provence - visant à les intégrer au sein du SDIS leur sera proposée. Une formation au sein de la PUI viendra ensuite ponctuer leur parcours.
Professionnel ou volontaire, quelles sont les missions du pharmacien pompier ?
Il est notamment responsable des commandes et approvisionnement de tout médicament et matériel médical nécessaires aux actes de secourisme : l'oxygène, premier médicament dispensé, les consommables (compresses, garrots, ciseaux...), les dispositifs médicaux (défibrillateur, tensiomètre, lecteur de glycémie...). Il doit également gérer les DASRI, le matériel et les produits dédiés à la désinfection des véhicules de secours ainsi que leurs procédures d'utilisation. Par ailleurs, en fonction du SDIS, il pourra prendre part à des missions opérationnelles en cas de risque chimique (conseils techniques sur la toxicité ou la mise en œuvre du matériel d'analyse) ou biologique (conseils techniques sur les procédures de désinfection du matériel). Il pourra aussi pratiquer les actes de vaccination, de prescription, de reconstitution des vaccins, des missions fondamentales comme on a pu le constater lors de la crise sanitaire où les pharmaciens pompiers ont pu être chargés d'organiser les vaccinodromes et pouvaient occuper tous les postes au sein des centres de vaccination.
Entre pharmacien pompier professionnel et volontaire, les responsabilités ne sont, pour autant, pas les mêmes, le premier étant gérant à temps plein d'une PUI où il exerce toutes les missions régaliennes du monopole pharmaceutique, le second n'étant présent que partiellement et exerçant des missions déléguées par le pharmacien chef.
Quels sont les besoins de la filière en termes de recrutement ?
Ils sont conséquents. Même si le stage hospitalo-universitaire de 5e année peut désormais s'effectuer dans une PUI de SDIS, la réforme du DES Pharmacie Hospitalière impose de recruter au sein de la spécialité tout nouveau professionnel, ce qui réduit le nombre des candidatures. Une situation que la pénurie de personnel à l'officine complique un peu plus dans le cas du volontariat. D'où l'importance de favoriser les liens entre pharmaciens et PUI de SDIS, un des buts de l'association Alphasis.
Président de l’association Alphasis, pharmacien chef du SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) des Yvelines.
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