Portrait

Bernard Pino, médecin, propharmacien, sur l’île de Sein

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Publié le 11/04/2024
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Tout compte fait, il aura fallu à Bernard Pino quarante ans pour devenir médecin et propharmacien. Sur l’île de Sein (Finistère), une nouvelle vie débute pour lui… à 68 ans.

Bernard Pino, avec son « véhicule » de service sur le port de Sein

Bernard Pino, avec son « véhicule » de service sur le port de Sein
Crédit photo : Jacques Gravend

À 67 ans, Bernard Pino est devenu médecin, propharmacien, praticien en milieu improbable pour un Lyonnais d’origine sicilienne : sur l’île de Sein (Finistère), parmi 280 habitants, au-delà de la terre.

Ce confrère avait commencé ses études de médecine à Lyon sud, dans les années 1970. Mais « j’ai eu sept vies, comme les chats », dit-il. Président de l’association des étudiants, « une grosse machine qui gérait un secrétariat, un bar, une cafétéria, une imprimerie », il arrête ses études en 6e année, et s’oriente vers… l’imprimerie.

Cette époque est celle d’une grande mutation de ce métier, du passage du plomb vers l’offset, des premières interfaces entre « Mac et le laser ».

Le confrère est un créateur, mais qui s’inscrit tous les ans en médecine… sans aller à la fac. Au début des années 2000, il quitte Lyon pour Pont-L’Abbé (Finistère), « pour vivre sans trop de travail ». Et se retrouve à s’inscrire une nouvelle fois en médecine, à Brest cette fois. Avec une difficulté imprévue : avoir à justifier d’être bachelier. Il lui faut faire un saut jusqu’à Lyon pour obtenir le document. « À Brest, j’étais assis au fond de l’amphi, mais j’ai été admis très vite par les autres étudiants. Mais pendant une semaine, j’avais le cerveau paresseux, j’avais du mal à apprendre. Et puis un jour, ça a été comme un évier qui se débouche, je pouvais apprendre. »

Mais le « jeune » étudiant a été absent trente ans de la fac, il avait tout oublié, et il avait une famille. Réinscrit en quatrième année, il lui faudra deux ans pour faire une année. « Bernard Le Floch, médecin au Guilvinec, près de Pont-L’Abbé, m’a pris sous son aile en stage. Après deux jours, j’étais à l’aise, j’ai perdu les trente kilos que j’avais de trop, j’ai fait des remplacements de cabinet. »

Ceux qui connaissent les médicaments, ce sont les pharmaciens, pas nous

Bernard Pino

Après un premier stage, il doit trouver un autre médecin. « J’avais une appétence pour une île. » Et il appelle Loetitia Masthias, généraliste sur Sein depuis 16 ans. « Votre âge, je m’en fiche, m’a-t-elle dit, venez ». C’est ainsi que Bernard Pino s’est retrouvé pendant deux ans à Sein, « à vacciner contre le Covid, puis en remplacement, puis en alternance », depuis décembre dernier. « Loetitia m’a convaincu : elle m’a dit, le maire t’aime bien, les Sénans t’ont adopté. »

Pas d’officine alentours, Bernard Pino est donc aussi propharmacien, « je distribue des médicaments, donne des petits traitements. Mais si j’ai un doute, j’appelle un ami au Guilvinec, un “vrai pharmacien “. Je suis rassuré, j’aime bien le conseil d’un pharmacien ». Ce propharmacien exerce aussi, à mi-temps, aux urgences de l’hôpital de Pontivy (Morbihan). « C’est à l’hôpital que j’ai découvert le vrai intérêt du pharmacien. On avait admis une patiente âgée de 90 ans, avec des troubles du rythme cardiaque, mais sans aucun antécédent. Le patron avait prescrit une pile cardiaque, et préparait le transfert sur Brest. Pendant qu’il était au téléphone avec Brest, je parlais de ce cas avec le pharmacien de l’hôpital qui a compris que cette personne ne souffrait pas d’arythmie, mais d’un produit qu’elle employait pour ses pieds, et qui produisait cet effet. On a arrêté le produit, l’arythmie a cessé, sans pile. Ceux qui connaissent les médicaments, ce sont les pharmaciens, pas nous ».

À maintenant 68 ans, Bernard Pino vient d’apprendre que le docteur Masthias le quittera à la fin de l’année, mais lui s’épanouit sur Sein, même lorsque le mauvais temps garde les bateaux au port, dont la navette !

Jacques Gravend

Source : Le Quotidien du Pharmacien