La pandémie de Covid-19 a bouleversé de nombreux secteurs d'activité, et la pharmacie n'a pas fait exception. En France, les officines de ville ont dû s'adapter pour répondre aux nouveaux besoins des patients et assurer la continuité des soins, tout en respectant les mesures sanitaires. La digitalisation est apparue comme une solution clé pour accompagner cette transformation.
Avec les restrictions de déplacement et la nécessité de limiter les contacts physiques, la téléconsultation et le téléconseil ont gagné en popularité. Le click & collect, qui permet de commander en ligne et de récupérer ses médicaments en pharmacie, s'est également développé pendant la pandémie. Au-delà des services directement destinés aux patients, la digitalisation a touché les outils de gestion qui ont intégré de nouvelles fonctionnalités, telles la gestion des stocks en temps réel et celle des commandes fournisseurs. Si la digitalisation offre de nombreuses opportunités, elle pose des défis aux pharmacies, notamment en matière de formation des équipes, de cybersécurité et d'adaptation aux besoins réels de l'officine.
Le digital, oui mais pour quoi faire ?
Jérôme Combe est consultant, coach, formateur et cofondateur de Synopsis Management, société spécialisée dans le conseil aux officines dans les domaines de la gestion, de l'organisation, du marketing et de l'aide au management. Il est également professeur à l'université de Grenoble, en charge des enseignements sur les sciences de la gestion et les métiers de l'officine. Il explique : « Digitaliser pour digitaliser ne sert à rien. La question qu'il faut se poser, c'est : quels sont les besoins ? » Tout dépendra des objectifs de la pharmacie concernée, de sa stratégie et des observations faites par les consultants qui, le cas échéant, peuvent préconiser l'utilisation de certains produits. « Mon travail de conseil consiste à fournir une approche sur mesure, trouver et proposer des solutions, digitales ou non, pour répondre à une problématique », décrit Jérôme Combe.
Les principales raisons qui justifieraient l'intégration d'outils digitaux sont identifiées par les consultants. « La première est le gain de productivité que ces solutions dégagent en réduisant les temps administratifs et en améliorant l'expérience client. La seconde concerne plutôt l'amélioration de l'expérience client, et donc la fidélisation. »
Il n'est pas forcément nécessaire de dépenser des milliers d'euros dans un service dont la pharmacie n'a pas l’utilité
Jérôme Combe, consultant et cofondateur de Synopsis Management
Digitalisation : une appétence limitée
Mais les besoins et les demandes autour du digital sont en réalité assez ponctuels, car les consultants doivent composer avec un facteur limitant : l'appétence des équipes pour ces questions. « Il n'y a pas de grande maîtrise du sujet. Les pharmaciens entrepreneurs s'y intéressent pour des questions de business et de rentabilité, mais la moyenne des professionnels n'est pas au fait des technologies et des bénéfices qu’on peut en tirer. Même si cela tend à évoluer avec les générations », reconnaît-il. Les interventions de Synopsis Management intégrant une composante digitalisation sont pour l'essentiel relativement basiques. Elles portent, par exemple, sur l'intégration et l'utilisation d'un agenda électronique partagé au sein de l'équipe officinale pour gagner en temps et en efficacité.
Dans d’autres cas un peu plus poussés, Jérôme Combe peut être amené à recommander l'usage de logiciels de gestion électronique des documents (GED) qui simplifient la prise en charge de dossiers (banque, administration, etc.) en interne – le plus connu d'entre eux est Digipharmacie, utilisé par près de 13 000 pharmacies. Ou encore des logiciels de planning comme Skello, qui permettent de réaliser des plannings exhaustifs à l’attention des employés, la gestion des paies, le suivi du temps et des absences… L'utilisation d'outils dédiés n'est d'ailleurs pas une fin en soi, de l'avis du consultant. « Beaucoup de choses peuvent être faites sur Excel. Mais certains outils permettront d'aller un peu plus loin. Il n'est pas forcément nécessaire de dépenser des milliers d'euros dans un service dont la pharmacie n'a pas l’utilité. » Car encore une fois, les suggestions du professionnel dépendront avant tout du besoin de l'officine et de divers paramètres, comme son appétence au numérique, son budget, le nombre de collaborateurs, sa zone géographique…
Groupements et impératifs commerciaux
Répondre aux seules exigences de l'officine, c'est d'ailleurs tout l'intérêt de passer par un consultant indépendant, selon Jérôme Combe. En effet, la qualité de l'expertise réside aussi dans sa neutralité vis-à-vis des solutions recommandées. « Je travaille pour le pharmacien et je n'ai pas d'intérêt financier à défendre tel ou tel fabricant. Mes suggestions ne sont que le fruit de mes observations, assure-t-il. Les groupements, par exemple, n'ont pas ou peu de consultants ; en revanche, ils ont des commerciaux. » Vous avez dit groupement ? C'est là sans doute le second acteur de la pharmacie le plus actif lorsqu'il est question de consulting en stratégie digitale à l'officine. Du fait de leurs relations privilégiées avec les éditeurs, ils sont vecteurs de propositions tout en répondant à leurs impératifs commerciaux. Bien que la relation soit commerciale en premier lieu, ils assurent une mission d'accompagnement de leurs membres.
Anissata Boina, responsable digital chez Leader Santé, qui comptabilise 900 officines en France, explique : «Aujourd'hui, le siège vient en support des pharmaciens pour la prise en main des outils et solutions digitales que l'on peut mettre en place », assure-t-elle. Dans les faits, cela passe par un soutien de bout en bout, via des formations sur le terrain, des coachings « pour éviter de générer des frustrations et proposer de la valeur à la patientèle », ajoute Anissata Boina. Leader Santé accompagne les profils digital natives et ceux moins à l'aise avec les nouvelles technologies, de manière progressive et en respectant le niveau de chacun. « Nous réalisons un entretien avec les pharmaciens pour appréhender leur maturité sur ces sujets, puis nous leur proposons des solutions en fonction de leur niveau, de leurs attentes et de la typologie de leur patientèle, décrit Anissata Boina. Les commerciaux (et non des consultants donc, N.D.L.R.) sont systématiquement le premier point de contact du pharmacien », indique-t-elle. Ils peuvent répondre à des demandes de niveau 1 sur les outils (résolution de pannes ou d'incidents), et assister les utilisateurs. Au-delà, un staff digital peut se déplacer pour former les équipes sur les problématiques plus techniques.
Sensibiliser à une digitalisation inéluctable
Jongler entre les besoins réels de la pharmacie et la digitalisation inéluctable semble être un autre enjeu essentiel dans le conseil digital. La digitalisation est en marche et il va falloir s'y adapter. Ce ne sont pas les groupements qui le disent, mais la loi. En effet, dans le cadre du Ségur du numérique en santé, les prescripteurs et ceux qui exécutent les prescriptions devront, par exemple, se conformer à l'obligation de dématérialiser les ordonnances au plus tard le 31 décembre 2024. Un service accessible à partir des logiciels métiers référencés « Ségur ». Et Anissata Boina de conclure : « Aujourd'hui, quelle que soit la typologie des officines, tous les pharmaciens doivent proposer le scan ordonnance numérique à partir de 2025. Il est donc important qu'ils montent en compétences ». Et n'attendent pas de le faire à marche forcée une fois que l'obligation sera effective.
L’incontournable conseil en cybersécurité
L'intégration de solutions digitales implique de se pencher sur la question de la cybersécurité et de la sécurité des données à caractère personnel et de santé. Un sujet technique, pas toujours simple à appréhender, qu'il convient d'aborder au regard de la responsabilité de chacun et de son degré d'exposition au risque cyber. Là encore, des missions de consulting pour sensibiliser les équipes officinales à la sécurité informatique sont mises en place. Leader Santé organise des sessions pour les pharmaciens sur les questions de gestion et de stockage des données de santé, et par extension, de conformité au RGPD (Règlement général sur la protection des données personnelles), alors qu'ils sont amenés à traiter des données sensibles dans leurs activités.
En parallèle, des newsletters informent régulièrement sur d'autres sujets, comme l'importance de modifier ses mots de passe. Leader Santé organise également des focus et des webinaires. « Mais cela peut faire peur, donc nous le faisons très progressivement », admet Anissata Boina. Mais justement, n’est-il pas le propre de la sensibilisation aux problématiques de cybersécurité que de faire peur ? Le groupement se dit plutôt adepte de la méthode douce et préfère le face-à-face lors de prises de parole à l'occasion de rencontres, « moins formelles », entre pharmacies membres du groupement.
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