Dans le back-office, Nicole Bertin râle. Pour une fois, la raison de son mécontentement est compréhensible.
- Je ne comprends pas la logique des laboratoires. Ils lancent un médicament avec un grand tapage médiatique, et poum ! Deux mois après, ce même médicament est « manque rayon ».
- De quel médicament parles-tu ?, demande Emmanuel.
- Ce vaccin. On nous le demande de plus en plus, et c’est maintenant qu’on en a besoin qu’il n’est plus disponible.
- C’est vrai qu’ils se moquent de nous. Mais il n’y a pas qu’eux qui nous mènent en bateau. Tu sais qu’avec l’augmentation du SMIC…
Le préparateur s’apprête à servir son discours syndicaliste pour la énième fois mais Nicole l’interrompt sèchement :
- Plus qu’un an, et c’est la retraite pour moi. Et tu sais quoi ? J’ai hâte.
Elle interpelle Marion qui vient chercher des boîtes de complément nutritionnel dans l’étagère :
- Dis donc toi, tu devras attendre un peu avant de vacciner contre la bronchiolite parce que nous ne serons pas livrés avant demain après-midi.
- OK. Tant pis, répond stoïquement la pharmacienne. Je vais rappeler la patiente pour la prévenir et décaler l’injection.
- Tu paries que ce sera la même chose bientôt avec le médicament contre l’obésité ?, ajoute Nicole en regardant l’apprentie Maëlys qui lui sourit sans comprendre.
Au comptoir, l’équipe enchaîne les ordonnances. Au poste d’accueil, Gisèle salue un homme élégamment vêtu. Il doit avoir au moins 80 ans mais affiche une allure déterminée.
- Madame Pontignac est-elle là ? Je voudrais lui parler s’il vous plaît.
Gisèle reste sans voix.
- Delphine Pontignac ? L’épouse de Jean-Christophe Pontignac ?
- Non. Je veux parler à Élisabeth Pontignac.
Gisèle est perplexe face à la demande saugrenue de cet inconnu.
- Élisabeth Pontignac a pris sa retraite Monsieur. Depuis plus de vingt ans maintenant.
- Je m’en doute bien. Mais pourrais-je lui parler néanmoins ? Oh, mais je ne me suis pas présenté. Charles Duchemin. J’étais étudiant avec Babeth, Élisabeth pardon. Oh ça fait bien longtemps, je vous l’accorde. J’ai fait de l’officine pendant plusieurs années, et puis je suis parti faire le tour du monde parce que je suis passionné par une chose : la pharmacognosie.
- Je vous prie de m’excuser Monsieur…
- Duchemin.
- Monsieur Duchemin. Je suis à vous tout de suite. Je vais m’occuper de ces messieurs dames, derrière vous.
- Mais naturellement, répond l’homme très aimablement. C’est une belle pharmacie. Un peu bizarre cet agencement… mais que voulez-vous, c’est le progrès. Moi par exemple, j’étais certain d’une chose quand je travaillais encore en pharmacie : c’est que les vignettes disparaîtraient un jour.
Sans se soucier de l’intérêt que les autres clients portent à ses histoires, Charles Duchemin continue :
- Vous souvenez-vous ? il fallait les décoller et les recoller sur la feuille subrogatoire. Elle était jaune n’est-ce pas ?
- Oh oui, je me souviens bien de cela Monsieur, lui répond une patiente de la même génération, toute contente d’évoquer le passé.
Derrière son comptoir, Gisèle, à la fois agacée et séduite par le comportement de ce vieux pharmacien, appelle discrètement J-C sur son portable. Il ne répond pas. Il est chez le notaire, pour signer l’acte de cession de parts à Julien.
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