Mille neuf cent quatre-vingt-quatorze est une année charnière dans la prise en charge des addictions : l’accès à la méthadone se développe grâce à une circulaire autorisant tous les centres spécialisés à la prescrire, la buprénorphine pointe son nez et les premières mesures de réduction de risques liés aux injections de drogues (programmes d’échange de seringues, accueil des usagers dans des « boutiques », Stéribox vendu en pharmacie…) sont mises en place grâce à Simone Veil, ministre de la Santé, dans la dynamique de la lutte contre le sida. « Il y a un avant et un après 1994 », constate le Pr Georges Brousse, psychiatre et addictologue au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), lors d’une table ronde organisée par Recordati le 4 avril à Paris pour dresser le bilan de 30 ans de méthadone, autour de spécialistes des addictions.
Les pharmaciens indispensables
Ces 30 ans ont été marqués par des évolutions conséquentes. En 2008, la forme gélule est disponible. Elle est mieux acceptée par les patients et plus discrète. Son dosage à 1 mg permet d’envisager l’arrêt. En 2014, la durée maximale de prescription passe de 14 à 28 jours. « On a normalisé ce traitement », souligne le Pr Nicolas Authier, chef de service Pharmacologie médicale au CHU de Clermont-Ferrand.
L’immense majorité des décès par méthadone n’est jamais par méthadone seule.
Pr Nicolas Authier
Trente ans de lutte dans laquelle les officiaux ont trouvé leur place, « centrale » selon le Pr Brousse. « On a appris à travailler avec les pharmaciens. La substitution nous a rapprochés », plaide la Dr Xavier Aknine, généraliste et addictologue en Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). « Si on était capable, dans toutes les pathologies que l’on connaît aujourd’hui, de conduire une coordination comme on a fait pour les usagers de drogues, je pense qu’on aurait une bonne prise en charge des pathologies », ajoute Marie-Josée Augé-Caumon, pharmacienne et conseillère de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Manque de volonté politique ?
Aujourd’hui, 72 000 patients sont traités par méthadone sur 150 000 personnes avec un traitement substitutif aux opiacés (TSO). Mais il reste encore pas mal de combats à mener pour en améliorer l’accès. L’idée d’une primo-prescription de méthadone par le généraliste, tout d’abord, est aujourd’hui avortée. L’une des raisons se trouve dans les enquêtes DRAMES (Décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances), dont les derniers résultats de 2021 montraient que parmi les drogues responsables de décès (627 décès directement liés à l’usage abusif de substances psychoactives), la méthadone arrivait en tête avec 36 % des cas. Un résultat constant depuis 10 ans. « L’immense majorité des décès par méthadone n’est jamais par méthadone seule. La méthadone est soit considérée comme prédominante dans la cause soit co-dominante d’une autre substance, tempère le Pr Nicolas Authier. L’enquête DRAMES ne donne pas forcément le chiffre exhaustif et elle reporte le nombre de décès aux personnes traitées. Or le nombre de patients traités n’est probablement pas le nombre de personnes exposées. »
Aujourd’hui, 72 000 patients sont traités par méthadone sur 150 000 personnes avec un traitement substitutif aux opiacés (TSO)
Autre déconvenue : le renouvellement par le pharmacien qui n’aura duré qu’un temps, celui du Covid. Pourtant, les pharmaciens ont montré qu’ils savaient renouveler des TSO. Selon le Pr Authier, 12 décès ont été déclarés dans la banque nationale de pharmacovigilance sur la période de mars à juin 2020, à comparer avec les chiffres de mars à juin 2019 : 12 décès également. « Je trouve qu’on ne se sert pas assez de ce retour. On en a fait quelque chose d’inquiétant. Or il y a toujours aujourd’hui une difficulté d’accès à la méthadone, souligne le Pr Authier. Peut-être qu’il faudrait rediscuter des procédures de renouvellement dans le cadre de travail en commun entre médecins et pharmaciens. Ce qui permettrait aux CSAPA de voir plus de patients et de réduire les délais d’attente. » « Lorsqu’on n’a pas de temps médical, on en a encore mois pour les addictions », souligne Marie-Josée Augé-Caumon. « Sans accessibilité ou si on perd l’accessibilité, on va faire le jeu du marché noir, on va augmenter les problématiques liées aux surdoses, donc aux décès liés à la méthadone, ce qu’on lui reproche déjà régulièrement », alerte le Pr Nicolas Authier.
Tous le constatent, les choses peinent aujourd’hui à évoluer davantage. « On met les risques sur la table sans parler des bénéfices. On manque de données actuellement qui continuent d’évaluer les bénéfices que l’on tire de la méthadone, comme au début de la mise en place des TSO », constate le Pr Authier. « Le sida a fait changer les choses. Quel vecteur aujourd’hui peut-être retrouvé pour améliorer l’accès à la méthadone ? À lui tout seul, le mésusage des substances psycho-actives est la cinquième roue du brancard », déplore le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions. Certains y voient un retour en arrière, dans un contexte politique peu favorable qui prône une « guerre à la drogue » et un retour de la stigmatisation des usagers.
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