Le Quotidien du pharmacien. - Quels sont les enseignements de cette enquête de l’ANEPF ?
Sylvie Cromer. - Saluons tout d’abord l’initiative de l’association étudiante en pharmacie. Le sondage de l’ANEPF, même s’il n’est pas représentatif, a permis d’ouvrir un espace de parole sur la question des violences sexuelles et sexistes. La prise en compte de cette question par la communauté éducative, que ce soit en termes d’écoute ou de traitement et sanction des situations, progresse mais reste insuffisante. Pourtant, les obligations de prévention et d’accompagnement ont été renforcées avec notamment la mise en place obligatoire de dispositifs d’alerte (loi du 6 août 2019).
Comme l’ont attesté les enquêtes Virage et Virage universités (2015) portées par l’Ined* et plus récemment l’enquête Conditions de vie des étudiants de l’observatoire national de la vie étudiante (OVE 2020**), les violences sexuelles et sexistes dans les études et au cours des études sont une réalité. Selon l’OVE, 5 % des étudiantes et 3 % des étudiants déclarent avoir subi des violences sexistes et sexuelles au cours de l’année universitaire écoulée, révélant le caractère systémique de ces violences. Plus précisément, 4 % des étudiantes et 2 % des étudiants font état de propos, attitudes ou propositions à caractère sexuel, tandis que 2 % des étudiantes et 1 % des étudiants dénoncent des attouchements ou rapports sexuels forcés.
Comme les enquêtes représentatives de la communauté étudiante, les résultats du sondage en pharmacie révèlent tout d’abord que les étudiantes déclarent davantage de violences que les étudiants. Ensuite les auteurs de ces violences sont majoritairement les pairs, d’autres étudiants, mais le personnel enseignant et administratif est également mis en cause. En fait il n’y a pas de spécificité, quant à la nature des violences, dans les études de pharmacie, même si certains contextes particuliers sont pointés du doigt : les journées d’intégration, les événements festifs, les situations d’enseignement et de recherche plus personnels qui renforcent des rapports d’autorité (les directions de mémoire et de thèses, les déplacements de mission ou de colloques…), les stages, sans oublier les situations de précarité ou de vulnérabilité économique ou sociale (étudiants éloignés de leur famille).
Quelles peuvent être les conséquences des VSS commises par des maîtres de stage sur l'avenir professionnel des étudiants ?
Sylvie Cromer. - Les stages présentent des risques, tout d’abord parce que dans les entreprises les violences sexistes et sexuelles, sont, comme dans les études, une réalité systémique tangible (4 % des salariés au cours des 12 derniers mois, en déclarent, Virage 2015). Sur les étudiants en stage pèsent encore davantage les rapports de force : parce que plus jeunes, parce qu’en position de subordination accrue, parce que les enjeux du stage sont décisifs, à savoir souvent la validation de l’année universitaire et l’insertion professionnelle.
Si les violences sexuelles et sexistes ont des conséquences multiples, elles ne sont jamais ressenties de manière homogène par toutes et tous, en fonction notamment des ressources mobilisables. Les impacts les plus couramment mentionnés restent ceux sur la santé (problèmes de concentration, angoisses, voire dépression), ce qui pénalise la réussite universitaire, voire la poursuite d’études. Beaucoup, aussi, perdent confiance dans l’institution ou l’entreprise qui n’a pas su les protéger et agir, décidant même d’arrêter leur formation, ce qui pénalise leur insertion professionnelle.
Quelles mesures de prévention préconisez-vous ?
Rozenn Texier-Picard. - La communauté éducative doit montrer qu’elle considère les violences sexuelles et sexistes comme inacceptables, a fortiori dans le cadre de la formation ou du travail, comme des atteintes à l’intégrité, à la dignité et à l’égalité. La formation des jeunes ne peut pas s’appuyer sur la reproduction de rapports de domination, surtout si l’on cherche par la formation à transformer la société vers l’égalité réelle.
Concrètement, la prévention ne peut être détachée de la question du traitement des situations, il faut donc afficher les mécanismes de recours : à qui peut-on dénoncer ? De quel soutien pourra-t-on bénéficier ? Quelles seront les procédures d’enquête ? Quels délais et quelles sanctions ? Les dispositifs d’alerte sont à évaluer régulièrement.
Certaines universités ont déployé des sensibilisations obligatoires pour leurs personnels et leurs étudiants, afin d’apprendre comment réagir en tant que témoin actif. Les initiatives étudiantes en ce sens doivent être soutenues. Les personnes chargées de l’écoute et de l’orientation des personnes victimes, celles chargées des enquêtes et des procédures disciplinaires, doivent être formées pour comprendre les mécanismes des VSS et leurs conséquences, et sanctionner. C’est sur cette base que les établissements pourront créer la confiance dans leurs dispositifs d’alerte, et ainsi prévenir efficacement les violences.
* https://virage.site.ined.fr/
** Repères 2020 p. 16 https://bit.ly/3urqGj4 et OVE Infos n°43 https://bit.ly/3umGXpu
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