Pour les chercheurs de l’université de Paris XIII chargés de l’étude, c’est en fait « la construction de catégories de patients » qui favorise la différenciation de la prise en charge, qui peut elle-même prendre des formes multiples, dissimulées ou évidentes. L’objectif de cette recherche « socioanthropologique » était de recueillir le point de vue des médecins généralistes et spécialistes, ainsi que des chirurgiens-dentistes, exerçant en libéral, sur les patients précaires éligibles à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) ou l’aide médicale d’État (AME). Résultat : ces usagers du système de santé sont victimes de « représentations médicales stéréotypées », d’un « étiquetage social » qui oriente vers « des pratiques professionnelles différentes, dont certaines renvoient à une discrimination ».
L’étude repose sur des entretiens menés en 2015 et 2016 auprès de 50 soignants invités à décrire les étapes de la prise en charge de patients en situation de précarité. Les chercheurs notent que « les CMU » désignent désormais les personnes en situation précaire dans le langage des praticiens. Une notion à laquelle ils associent des préjugés comme des « soupçons de fraude » et des « difficultés de suivi », évoquant une possible surconsommation de soins ou au contraire un absentéisme ou des retards fréquents. C’est ainsi que naissent les discriminations les plus visibles, à savoir les refus de soins isolés ou systématiques, ainsi que des différentiations moins franches, comme « la réorientation systématique d’un patient vers un autre praticien ou à l’hôpital, des délais d’attente anormalement longs ».
Les chercheurs relèvent toutefois que la majorité des soignants exerce de « manière égalitaire » et se montre choquée par le manque de déontologie de certains confrères. Mais l’étude souligne surtout les ajustements de certains praticiens qui se justifient, par exemple en mettant en avant les conditions de vie du patient qui rendent impossible le suivi d’un traitement, les orientant ainsi vers « une offre médicale de moindre qualité ». Les soignants déplorent, pour leur part, les modalités de prise en charge économique qui entraînent des « remboursements trop longs » et des « soins sous-évalués ».
Testing national
Le Défenseur des droits a ouvert plusieurs enquêtes en décembre dernier concernant des médecins refusant les bénéficiaires de la CMU-C ou de l’AME. Il recommande de réaliser un « testing national », de préciser dans le code de la santé publique les types de refus de soins illégaux et de demander à l’assurance-maladie de « recenser les praticiens » ne respectant pas les tarifs imposés (absence de dépassements) pour les bénéficiaires de la CMU-C ou de l’ACS.
Ces conclusions agacent le Syndicat des médecins libéraux (SML), qui qualifie l’étude de « fantaisiste », ne reposant que sur une « poignée de témoignages, sans aucune représentativité ». Le SML conseille au Défenseur des droits de se pencher plutôt sur « la complexité du tiers payant, les délais de paiement et autres tracasseries liées à l’incapacité des caisses de gérer elles-mêmes la complexité administrative des patients en situation précaire ». Néanmoins, début janvier, des associations ont saisi le Défenseur des droits pour dénoncer les pratiques d’une douzaine de médecins et de dentistes refusant ostensiblement, sur des sites de prise de rendez-vous en ligne, les soins aux bénéficiaires de la CMU ou de l’AME.
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