Frédéric Bizard : « Il faut revoir le système de régulation »

Publié le 28/05/2021
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Économiste spécialisé dans les questions relatives à la protection sociale et à la santé, Frédéric Bizard estime que les patients doivent garder toute confiance en leur pharmacien sur la question de la protection des données de santé. Il dénonce en revanche le manque de moyens employés par les pouvoirs publics pour lutter contre les dérives dans ce domaine et appelle à revoir totalement le système de régulation.

Crédit photo : S. Toubon

Le Quotidien du pharmacien.- L'émission de Cash Investigation sur la collecte des données de santé en officine a beaucoup fait parler. Peut-on considérer que les pharmaciens sont trop négligents sur la question de l'information du patient ?

Frédéric Bizard.- Considérer que la faute repose sur les pharmaciens serait une hypocrisie totale. Les officinaux ne sont pas suffisamment bien informés et sensibilisés sur la question de la transmission de ces données, ces règles ne sont pas correctement communiquées. Ne diligenter des contrôles qu'au niveau des pharmacies serait surtout la manifestation d'une volonté de ne rien faire. Si l'on dit « regardez, on a attrapé 10 pharmaciens qui ne respectent pas les règles », ce serait parfaitement démagogique. On ne peut absolument pas remettre en cause l'intégrité, ni la probité des officinaux sur ce sujet. Ce n'est pas une simple affiche qui va faire changer les pratiques. Le problème doit être traité à la source. Considérer que les pharmaciens « fraudent » en n'informant pas les patients c'est particulièrement méprisant vis-à-vis d'eux.

Consacre-t-on assez de moyens pour garantir la protection des données personnelles ?

Le problème aujourd'hui repose sur l'application des règles en vigueur. Les complémentaires santé ont accès à toutes les données de santé sans que cela ne choque personne par exemple. Les moyens employés par les pouvoirs publics pour faire respecter les règles ne sont pas suffisants. Il n'y a pas de volonté d'investir davantage dans ce domaine car on estime que cela n'est pas suffisamment rentable, on cherche au contraire en permanence à faire des économies sur cela. Pour donner une idée, il n'y avait encore récemment que quatre personnes chargées des questions relatives aux données de santé à la CNIL. En gros, aujourd'hui, on dit aux entreprises qui collectent des données « on va vous faire confiance », ce n'est pas sérieux. Il faudrait au contraire qu'un opérateur public soit en capacité de contrôler réellement si les opérateurs privés restent dans les clous. Les sanctions en cas de manquements sont, de plus, dérisoires. Un moyen efficace de lutter contre les dérives serait au contraire la dissuasion, faire passer le message à ces entreprises qu'elles seront lourdement sanctionnées en cas de faute.

Il faudrait donc tout revoir de A à Z ?

Oui, il faudra bien un jour mettre au point un système de régulation efficace sur la transmission des données personnelles et pas des usines à gaz comme on le voit par exemple sur Internet où l'on est désormais obligé de donner son consentement dès qu'on arrive sur un site, ce qui est un véritable enfer. Considérer que des données peuvent être totalement anonymisées, ce n'est pas réaliste non plus. Premièrement, ce n'est pas dans l'intérêt des entreprises qui les collectent et cela ne peut de toute façon pas être totalement garanti, ne serait-ce que parce qu'il y a le risque du piratage. En revanche, ce qu'on peut faire c'est minimiser les risques. Lorsque le sujet des données personnelles est mis en avant, comme cela a été fait dans l'émission de Cash Investigation, on doit en profiter pour faire en sorte que le système s'améliore. Ce qu'il faut c'est revoir tout le système de régulation, arrêter les grands discours et mettre enfin les moyens si l'on veut garantir la protection des données, notamment celles liées à la santé.

 

Propos recueillis par P.M.

Source : Le Quotidien du Pharmacien