Les identités n’ont pas été dévoilées. On parle d’un couple de pharmaciens, Alain H. et son épouse, et d’un orthopédiste-prothésiste, Éric B. Jeudi 8 octobre, les trois prévenus étaient réunis devant le tribunal de Saint-Pierre pour répondre d’une escroquerie en bande organisée contre la Sécurité sociale. Le préjudice est estimé à 1,68 million d’euros. Partie civile, la Caisse générale de la Sécurité sociale (CGSS) de la Réunion a dévoilé les faits début 2010 après trois ans d’enquête. Son programme régional de contrôle contentieux s’est vite rendu compte que les sommes remboursées à la pharmacie des époux H., Pharmacentre à Tampon, étaient neuf fois plus élevées que dans les autres officines de La Réunion.
Tout commence lorsque les deux principaux protagonistes, Alain H. et Éric B., s’associent. Éric B. a fait faillite en métropole, il fait l’objet d’une interdiction de gérer et n’a pas d’agrément de la CGSS. Il décide d’ouvrir une entreprise au nom de sa femme et trouve un soutien auprès d’Alain H., dont il devient le fournisseur orthopédique exclusif. En contrepartie, l’officine bénéficie d’un apport de prescriptions exponentiel grâce au démarchage intensif d’Éric B. auprès des établissements hospitaliers, plus exactement auprès des praticiens. L’homme est doué, il obtient l’accès aux dossiers médicaux des patients et même des ordonnances vierges. Les deux hommes vont alors facturer à l’assurance-maladie du matériel dont la prise en charge est déjà incluse dans le forfait hospitalier. Le journal de l’île de la Réunion, « Clicanoo », sur son site Internet, explique que « près d’une dizaine d’articles ont été concernés par ces pratiques, allant des bas de contention aux ceintures de maintien lombaire en passant par des attelles de genoux, des orthèses statiques et des cannes métalliques ». Bien entendu, « seules les références les plus coûteuses ont fait l’objet de facturations qui ne tenaient pas compte des réelles prescriptions ».
À cela s’ajoutent des processus de fausse facturation, soit en facturant plusieurs fois le même matériel, soit en facturant des produits non prescrits. Des ordonnances de médecins ou de sages-femmes ont été surchargées après prescription. Cette pratique aurait éveillé les soupçons de la CGSS, constatant deux écritures différentes sur une seule et même ordonnance. Le système était bien rôdé, l’orthopédiste fabriquait les prothèses que le pharmacien facturait, les produits du remboursement étaient répartis entre les deux protagonistes, 20 % pour Éric B., 80 % pour Alain H. Cet accord aurait évolué dans le temps.
Abus de biens sociaux
À la barre, Éric B. et Alain H. se renvoient tour à tour la faute. Le pharmacien dit « avoir fait confiance » à l’orthopédiste, ce dernier assure se considérer comme « l’employé » du premier. Il ajoute : « le confort des patients était ma priorité et ce n’est pas moi qui avais intérêt à surfacturer ; c’est la pharmacie. » Alain H. rétorque que c’est l’orthopédiste « qui était aux manettes et s’occupait des ordonnances ». Mais l’officinal ne paraît pas plus blanc que son associé. Il est lui-même poursuivi, avec son épouse, pour abus de biens sociaux pour avoir « vécu aux crochets de leur société sans rien déclarer », explique encore « Clicanoo ». En 2010, Éric B. a déclaré 189 000 euros aux impôts quand la pharmacie des époux H. voyait son chiffre d’affaires grimper à 3 millions d’euros. De plus, 520 000 euros ont été découverts dans un coffre bancaire au nom de la pharmacie, ainsi que 13 400 euros en liquide chez le couple H., qui avoue avoir quotidiennement puisé dans la caisse : « on trafiquait sur les stocks de produits non vendus, on thésaurisait pour notre retraite. » Sur leur compte bancaire : 2,8 millions d’euros. Le couple de pharmaciens a revendu son officine en 2013. Ce n’est pas tout. Des écoutes téléphoniques judiciaires ont permis de découvrir que les époux H. ont aussi un compte bancaire au Luxembourg, mais qui ne serait plus utilisé depuis le début de leur association avec Éric B. Quant à ce dernier, il s’est vanté par téléphone que, contrairement au pharmacien, « moi tout mon argent n’a pas été découvert sur mes comptes ».
La CGSS et la Mutualité réclament le remboursement des sommes dues, soit plus d’1,6 million d’euros. Le parquet s’insurge : « Au-delà de cette somme, c’est la systématisation des procédés utilisés qui est grave. » Il a requis trois ans de prison dont la moitié avec sursis pour les deux hommes, un an avec sursis pour la pharmacienne pour abus de biens sociaux, une interdiction de gérer et d’exercer de 5 ans et le remboursement des sommes extorquées. Les avocats des prévenus ont réclamé la relaxe de leurs clients et ont attaqué des points techniques de la procédure.
Verdict le 19 novembre.
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