Pratique marginale malgré son remboursement sous conditions depuis septembre 2018, la téléconsultation a littéralement explosé au cours du premier confinement.
Le besoin de prise en charge, y compris en dehors du Covid-19, n’a pas disparu pendant l’épidémie. En manque cruel d’équipements de protection, les cabinets ont dû s’adapter et dématérialiser leurs pratiques. Alors que l’assurance-maladie comptabilisait 10 000 actes par semaine avant le confinement, ils sont passés à plus d’un million hebdomadaire début avril. Le taux de la pratique a ainsi atteint les 26 % de l’ensemble des consultations en mars et avril, selon les données du GERS. Avant reconfinement, ce taux s’était stabilisé autour de 4 ou 5 %. « Cela peut sembler faible en pourcentage, mais en volume cela représente le quart des téléconsultations réalisées au mois d’avril », note David Syr, directeur général adjoint de GERS Data. Une façon de dire qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Et les téléconsultations repartent à la hausse depuis le second confinement au 30 octobre.
Mais au comptoir, cette nouvelle modalité de prescription n'est pas sans conséquence… Elle constitue même un véritable casse-tête pour les pharmaciens contraints de gérer des ordonnances hors des clous à longueur de journée. Lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques face au Covid-19, Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), n’a pas caché son désarroi. « Il n’y a rien de plus difficile pour nous, au comptoir, que d’avoir une ordonnance sur un smartphone et de réussir à savoir si elle est bonne ou fausse, si elle a déjà été délivrée ou pas par une autre pharmacie. C’est une vraie difficulté de tenter d’authentifier la validité de la prescription. La solution, c’est la e-prescription, qui est en travaux depuis bien longtemps et que nous appelons de nos vœux depuis bien longtemps. »
De fait, le projet est à l'étude. Il fait même l'objet, depuis novembre 2017, d'une expérimentation menée dans trois départements (Maine-et-Loire, Saône-et-Loire et Val-de Marne). Celle-ci est entrée dans une 2e phase en juillet 2019. L’assurance-maladie vient de livrer les derniers chiffres : 69 médecins expérimentateurs ont réalisé près de 200 000 e-prescriptions, dont 21 000 ont été transmises à l’assurance-maladie par les 56 pharmaciens expérimentateurs. Pourquoi une telle différence entre le nombre de e-prescriptions réalisées et transmises ? Parce que le patient qui en bénéficie ne choisit pas forcément une pharmacie expérimentatrice pour se faire délivrer ses médicaments.
Coffre-fort virtuel
« Pour les 13 pharmacies participantes du Val-de-Marne, il n’y a pas de difficulté particulière dans la pratique, le retour est plutôt satisfaisant et elles sont favorables à une généralisation de la e-prescription. Elles aimeraient en revanche que les établissements hospitaliers soient intégrés à cette expérimentation car ils sont plus souvent l’objet d’ordonnances frauduleuses », explique Bruno Maleine, président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (CROP) d’Ile-de-France. Ce que confirme Joanne Ettedgui, installée au Perreux-sur-Marne, dont la pharmacie a rejoint l’expérimentation en 2019. C’est d’ailleurs dans le but d’améliorer la lutte contre la fraude, très coûteuse pour l’assurance-maladie, ainsi que pour augmenter la sécurité de la délivrance qu’elle a souhaité participer.
Dans la pratique, le patient consulte son médecin qui lui délivre une ordonnance papier en même temps qu’il place la même ordonnance en version électronique dans un coffre-fort virtuel. Le patient se rend dans la pharmacie de son choix. Si celle-ci est intégrée à l’expérimentation, elle scanne le code présent sur l’ordonnance papier, ce qui lui donne accès à la e-prescription. Elle s’assure de la concordance des deux ordonnances, puis poursuit de la manière habituelle : lecture de la carte Vitale et délivrance des médicaments. « Pour le patient, il n’y a aucune différence, tout se déroule comme d’habitude. Pour nous, c’est une sécurisation face aux fausses ordonnances ou aux prescriptions illisibles. Il y a tout intérêt à généraliser la e-prescription et à y intégrer non seulement les médecins en ville mais aussi les prescripteurs hospitaliers », explique Joanne Ettedgui.
Interventions pharmaceutiques
Mais la généralisation risque d’être retardée pour cause de Covid-19. « Toutes les expérimentations sur les systèmes d’information entre l’assurance-maladie et les professionnels de santé ont pris du retard car, de la même façon que les hôpitaux doivent déprogrammer les interventions chirurgicales non urgentes, nous sommes amenés à déprogrammer des projets professionnels. Tout simplement parce que ce sont les mêmes personnes qui font avancer ces dossiers et qui participent à la lutte contre l’épidémie. Mais ce ne sont que des retards, la e-prescription est un sujet majeur d’évolution de la profession, le travail continue », indique Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui prévoit, dès que la situation sanitaire le permettra, de se rendre dans une officine expérimentatrice.
Un projet d'ordonnance actuellement entre les mains de l'assurance-maladie prévoit l'obligation de e-prescription pour tous les acteurs de santé au 31 décembre 2024.
En attendant, des améliorations sont apportées au fur et à mesure de l’expérimentation. « Avec la e-prescription, il est possible de codifier les interventions du pharmacien sur ladite ordonnance. Mais le système n’est pas ergonomique et va être modifié. C’est important car cette codification des interventions pharmaceutiques va permettre de les valoriser », ajoute Philippe Besset.
Il n’y aura donc pas l’effet boost espéré par l’explosion de la télémédecine pendant le premier confinement. « Mais on peut imaginer qu’on s’en serait mieux sorti si la e-prescription avait été en place avant l’arrivée de l’épidémie », note le président de la FSPF. Comme en Belgique, où la e-prescription est obligatoire depuis le 1er janvier dernier.
Reste que sa forme actuelle ne règle pas la problématique des consultations à distance, car elle nécessite la remise par le médecin d’une ordonnance papier au patient avec le code qui permet au pharmacien d’accéder à la e-prescription. Cette ordonnance papier reste importante puisqu’elle rappelle au patient l’ensemble des traitements prescrits et leur administration (dosage, fréquence, durée…) et comporte le fameux code dont le pharmacien a besoin pour accéder à la e-prescription. La Belgique a trouvé une parade d’urgence pendant l’épidémie par le biais d’un arrêté royal (article 8) qui permet au médecin, après accord du patient, de « ne pas lui remettre la preuve de prescription électronique sur papier » et de lui transmettre le fameux code à remettre au pharmacien « par un autre moyen de communication (mail, téléphone, Skype, etc.) ».
Sécurisation
En France, la question est d’autant moins tranchée que la e-prescription n’est pas encore en place. Mais des solutions de sécurisation ont déjà été imaginées pour les téléconsultations suivies d’une prescription « Certaines plateformes de téléconsultation envoient l’ordonnance au patient avec un code qui n’est lisible qu’une seule fois, ce qui garantit que l’ordonnance ne pourra pas être réutilisée dans une autre pharmacie après délivrance. Si tout n’est pas délivré en une seule fois, le pharmacien peut préciser ce qu’il a dispensé, facture à l’appui, ce qui permet au patient de se faire délivrer le reste plus tard, dans la pharmacie de son choix. Mais toutes les plateformes n’ont pas mis en place ce genre de sécurisation », regrette Bruno Maleine. Et sans système de sécurisation, le pharmacien doit redoubler de prudence, rappelle Joanne Ettedgui. Elle s’alarme des ordonnances envoyées par mail au patient, qui peut les imprimer autant de fois qu’il le souhaite. D’ailleurs, pour tout médicament sensible, par exemple les hypnotiques, elle demande au prescripteur de lui envoyer directement l’ordonnance par messagerie sécurisée.
Le travail pour une future généralisation de la e-prescription est donc loin d’être terminé, d’autant qu’il vise à terme l’intégration de tous les prescripteurs, en ville comme à l’hôpital, pour l’ensemble des produits et prestations sur prescription. « La dématérialisation est très avancée dans la société, plus de 70 % des Français ont un smartphone, souligne Bruno Maleine. À l’hôpital, les informations passent d’un service à l’autre avec une validation électronique, l’impression de l’ordonnance n’intervient qu’à la sortie de l’hôpital, pour que le patient puisse présenter sa prescription aux libéraux de santé. À la pharmacie aussi tout est numérisé, tout est transmis à l’assurance-maladie par voie électronique. Face à l’expérience du confinement, il est urgent de porter le dossier de la e-prescription pour qu’elle puisse être mise en place le plus rapidement possible. »
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