“Chaque mois, 25 pharmacies ferment en France. Entre 2007 et 2023, notre pays a perdu 4 000 officines. En 2023, le nombre de pharmacies est passé sous la barre des 20 000 avec une érosion qui s'accélère : 236 fermetures en 2023, contre 171 en 2022. » C’est le constat rapporté par les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), Maryse Carrère (Hautes-Pyrénées) et Guylène Pantel (Lozère) en tête, qui ont déposé le 22 février une proposition de loi (PPL) « tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales ». Le principe : assouplir les conditions d’installation dans les petites communes pour éviter les déserts pharmaceutiques.
Prévenir les déserts pharmaceutiques
Il n’y a pas de désert pharmaceutique en France, mais, au vu de l’accélération des fermetures d’offices, ou du nombre de pharmacies cédées pour 1 euro, la profession peut se demander « jusqu’à quand ? ». « Au-delà de l'enjeu sanitaire, il est également question de l'attractivité des petites communes. Avec le café, la poste et l'épicerie, la pharmacie participe d'un écosystème de vie économique et de lien social », indiquent les sénateurs dans l’exposé des motifs.
Pour les élus du Palais du Luxembourg, la clef se trouve au niveau de l’ordonnance du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie. Ce texte a modifié les conditions générales d'autorisation d'ouverture des officines afin d'assurer un maillage pharmaceutique qui réponde aux besoins de la population et permette théoriquement, dans certains territoires, une installation dans des communes de moins de 2 500 habitants dépourvues de pharmacies. À deux conditions : premièrement, se regrouper avec des communes contiguës pour dépasser ce fameux seuil de 2 500 habitants. Deuxièmement, compter au sein de cette alliance de communes au moins une localité comptant plus de 2 000 habitants. Impossible aujourd’hui, par exemple, d’ouvrir une nouvelle officine dans un village de 1 500 habitants, associé à deux autres localités qui disposent d’une population inférieure ou équivalente. À noter que cette ordonnance, pourtant vieille de 6 ans, n’est toujours pas entrée en vigueur, les textes d’application n'ayant pas encore été publiés.
Quoi qu’il en soit, ces conditions sont jugées bien trop restrictives pour les sénateurs, et ne correspondent pas à la réalité démographique du pays. « Alors que la France compte 29 393 communes de moins de 2 000 habitants, cette nouvelle disposition méconnaît la réalité du terrain, notamment en milieu rural », écrivent en effet les élus.
La fausse bonne idée
En pratique, la PPL ne contient qu’un seul article qui n’impose plus à l’une des communes de recenser au moins 2 000 habitants et fait que cette mesure puisse s’appliquer à la France entière.
S’ils partagent l’objectif défendu par ces élus, les représentants de la profession ne sont en revanche pas sur la même longueur d’onde concernant les mesures envisagées. Ordre des pharmaciens et syndicats représentatifs de la profession le clament tous : cette proposition de loi risque de déstabiliser le maillage officinal. Une position qu’ils ont pu défendre le 21 mars dernier, lors d’une série d’auditions menées par la commission des Affaires sociales du Sénat.
Pour l’Ordre, premier convoqué au Sénat, l'objectif reste de « maintenir un maillage pharmaceutique de qualité dans ces territoires ». Il a néanmoins exprimé « ses réserves » face aux sénateurs. « L’installation d’une nouvelle pharmacie dans un territoire fragile va gêner la pharmacie d’à côté », explique plus directement Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). En effet, la pharmacie nouvellement implantée risque de prendre une partie de la patientèle de la pharmacie la plus proche, elle aussi en zone à faible densité démographique. Et dans un conglomérat de communes, où installer la pharmacie ? « Tous les maires veulent une pharmacie dans leur village ! », ajoute le président de l’USPO. « Nous sommes bien sûr mobilisés sur la question de l’accès aux médicaments partout en France. En revanche, ce que nous ne voulons pas, c’est un retour au système des dérogations, renchérit Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Un maire qui demande une ouverture d’officine à son député ou à un ministre, c’est non, cela déséquilibre le réseau. Ce qui est important pour la FSPF, c’est que les pharmacies qui existent puissent continuer à exister. De nouvelles ouvertures, nous n’y sommes pas favorables ».
Sans compter qu’un assouplissement des règles d’installation ne ferait aucunement oublier les problèmes de recrutement que connaît la profession aujourd’hui.
Créer des officines est une façon de voir le problème, les maintenir en est une autre.
Philippe Besset, président de la FSPF
Priorité aux pharmacies déjà installées
« Créer des officines est une façon de voir le problème, les maintenir en est une autre, ajoute Philippe Besset. Actuellement nous avons plus une problématique de maintenir le réseau dans le temps et d’avoir une attractivité pour que les officines puissent trouver un repreneur, que d’en créer des nouvelles ailleurs. Le sujet, c’est la rentabilité des officines. » « Cette proposition de loi pose la bonne question mais n’apporte pas la bonne réponse, résume finalement Pierre-Olivier Variot. Il faut faire en sorte que les pharmacies des territoires soient autonomes et viables. »
La bonne réponse se trouve peut-être vers des outils déjà existants. « Plutôt qu’une évolution des critères au niveau national, l’Ordre privilégie des dispositifs plus ciblés sur des zones rencontrant des difficultés d’accès au médicament, tels que les antennes de pharmacie ou encore la mesure “territoires fragiles” », préconise l’Ordre à l’issue de son audition. Reste que le décret sur les territoires fragiles, dont la première version n’avait convaincu personne, est aujourd’hui en phase de réécriture. Autre dispositif : l’ouverture d’antennes de pharmacie, mesure inscrite dans la loi Valletoux sur l’accès aux soins, attend la publication des textes d’application. « La publication du décret sur les territoires fragiles va d’ailleurs prendre du retard à cause de cette proposition de loi car, si celle-ci est adoptée, cela pourrait changer la base légale », précise Philippe Besset qui demande aux sénateurs du temps. Et d’ajouter : « Toute cette problématique doit être envisagée de façon globale, dans une vision de : comment faire pour que les pharmacies en zones rurales aient une rentabilité suffisante pour que les pharmaciens aient envie d’y vivre et d’y installer leur famille ».
Pour renforcer les pharmacies déjà installées en zone rurale, l’USPO mise aussi sur d’autres leviers : la dispensation des médicaments à domicile, la revalorisation les honoraires de garde et la télé-expertise. « Le pharmacien doit sortir de son officine et aller chez le patient. Par exemple, pour les personnes âgées de ces territoires, les pharmacies peuvent proposer la dispensation à domicile. Mais on doit leur en donner la capacité », développe Pierre-Olivier Variot. Sans pour autant maintenir les pharmacies rurales sous perfusion, ce que les deux syndicats refusent.
Cette proposition de loi pose la bonne question mais n’apporte pas la bonne réponse.
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
À l’occasion des négociations conventionnelles toujours en cours avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM), cette dernière a également fait part de son intention de venir en aide financièrement aux officines des territoires fragiles via une subvention de 20 000 euros. Avant que cette aide ne soit versée, il faudra toutefois définir précisément le concept de territoires fragiles et donc la liste des pharmacies qui pourront en bénéficier. Une question à laquelle le décret territoires fragiles est normalement censé répondre.
Quant à la PPL sur les pharmacies en zones rurales, elle sera débattue au Sénat en séance publique le 11 avril prochain.
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