Les signalements de médicaments en tension ou en rupture de stock n’ont jamais été aussi nombreux. Depuis 15 ans, le phénomène a pris une telle ampleur qu’il est devenu une problématique de gestion quotidienne à l’officine. Les laboratoires pharmaceutiques, accusés d’être responsables de cette situation, n’ont de cesse de répéter qu’il n’est aucunement dans leur intérêt de ne pouvoir fournir les médicaments prescrits par les médecins. À l’occasion de la traditionnelle cérémonie des vœux du LEEM, son nouveau président, Thierry Hulot, également à la tête de Merck France depuis 2017, a fait du sujet des ruptures le fil rouge de son discours et la priorité pour 2023.
Déplorant que ce fléau soit expérimenté par les Français « au quotidien quand ils vont dans leur pharmacie », il est revenu sur les causes multifactorielles maintes fois citées mais en insistant également sur les spécificités qui exposent davantage la France. « Nous avons les prix parmi les plus bas d’Europe (…) Non seulement cela n’incite pas les industriels à investir chez nous, mais en plus la France n’est plus prioritaire en cas de tension d’approvisionnement. De plus, ces prix bas encouragent l’exportation parallèle vers des marchés voisins plus attractifs. » À cela s’ajoute « une politique punitive » que l’Hexagone est quasiment seul à mettre en place avec « les obligations de stockage, en particulier sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) à faible marge » et les « pénalités appliquées en cas de rupture ». Sans oublier le contexte inflationniste qui conduit à une explosion des coûts de production qui ne peuvent être répercutés sur les prix encadrés des médicaments.
Réduire la dépendance
Le LEEM a fait des propositions au gouvernement pour accompagner les entreprises confrontées à cette problématique ces neuf derniers mois. Il n’a obtenu aucune réponse, alors même que l’Allemagne, « où les prix sont pourtant plus élevés, vient d’annoncer son intention de relever de 50 % le prix de 200 molécules essentielles à risque de tension ». Pour Thierry Hulot, cela illustre deux visions : celle où le pays considère le médicament comme une solution et celle où il est vu comme un problème. « Comment s’étonner des problèmes d’approvisionnement en amoxicilline, lorsque l’on sait que le prix fabricant hors taxe de la boîte se situe à 0,76 euro ? Comment, avec ces niveaux de prix, prétendre en relocaliser la production ? »
Loin de baisser les bras, le LEEM va présenter un nouveau plan d’actions anti-rupture assorti de recommandations aux pouvoirs publics d’ici la fin du premier trimestre. Parmi ses propositions, il souhaite déterminer les 200 ou 300 molécules essentielles pour lesquelles un plan d’action spécifique doit être mis en place et instaurer un outil de pilotage en temps réel à l’échelle européenne. Ce qui pourra aussi guider les choix de relocalisation industrielle permettant de retrouver une certaine souveraineté sanitaire en réduisant la dépendance à la Chine et à l’Inde et en abaissant, par la même occasion, le risque de rupture.
Une réindustrialisation urgente qui concerne également les médicaments innovants. « La France est passée de premier producteur européen de médicaments en 2004 à la 5e place aujourd’hui. Sur 488 AMM enregistrées entre 2016 et 2021, 42 médicaments seulement sont fabriqués en France contre 112 en Allemagne », souligne Philippe de Pougnadoresse, administrateur du LEEM et directeur général d’Ipsen France. Pour inverser la tendance, les industriels appellent le gouvernement à utiliser les mesures permettant, par exemple, d’augmenter le prix de certains médicaments ou encore de prendre en compte l’implantation industrielle lors de la fixation des prix. Une fixation qui pose encore problème selon le LEEM, qui estime que le Comité économique des produits de santé (CEPS) « s’éloigne de l’esprit de l’accord-cadre et propose des comparateurs de prix hallucinants ». Pour Thierry Hulot, c’est encore un élément qui ne favorise pas l’accès des médicaments en France.
Confiscation de croissance
« La situation sans précédent que nous vivons est la conséquence de 15 années de politique de régulation comptable du médicament. Le chiffre d’affaires des médicaments remboursables net de remises et de clause de sauvegarde n’a pas évolué entre 2009 et 2020 : c’est une confiscation de la croissance ! » Résultat, des entreprises jugent désormais inaccessible le marché français et renoncent à y commercialiser leurs médicaments. C’est le cas, selon Thierry Hulot, des « antimigraineux de nouvelle génération, les anti-CPGR, disponibles quasiment partout en Europe, sauf en France, où le CEPS propose un prix très éloigné du raisonnable ». Une situation d’autant moins acceptable que le monde du médicament vit « une vague d’innovations sans précédent, et les années à venir sont encore plus prometteuses », remarque Corinne Blachier-Poisson, administratrice du LEEM et présidente d’Amgen France.
Si l’industrie pharmaceutique salue le plan Innovation Santé 2030 ou encore la réforme de l’accès précoce, elle insiste aussi sur son incompréhension face à la dernière loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui, « dans un contexte hyperinflationniste, prévoit 800 millions d’euros de baisses de prix et un budget médicament très inférieur à la consommation réelle ». C’est pourquoi le LEEM appelle la France à « se doter d’un budget médicament réaliste et à la hauteur des besoins des patients », à renforcer ses capacités de recherche clinique et à donner les moyens de ses ambitions à la nouvelle Agence d’innovation en santé qui vient de voir le jour.
Mobilisé pour répondre au problème de l’accès des patients aux médicaments matures comme innovants, le LEEM met en place, à compter du mois d’avril, un baromètre trimestriel dédié pour rendre publique des indicateurs sur les ruptures d’approvisionnement, les délais d’accès et la disponibilité des innovations, les difficultés économiques des entreprises, les données d’investissement, d’exportation et de création ou suppression d’emplois. « Cela permettra aux Français de constater par eux-mêmes la perte de chance qu’ils subissent », annonce Thierry Hulot. Et aussi aux pouvoirs publics. « La Première ministre semble consciente que nos outils de régulation et de financement doivent être adaptés aux nouveaux enjeux de l’industrie et de l’innovation, tout comme aux attentes des patients », ajoute le président du LEEM qui se félicite du lancement prochain, par Élisabeth Borne, d’une mission ministérielle sur le sujet. Il promet déjà d’être « force de propositions ».
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