Signer, ou ne pas signer ? Au sortir de la réunion multilatérale de négociation avec la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM), ce 14 mai, les syndicats représentatifs étaient plus que déçus, voire en colère. Les propositions économiques de l’assurance-maladie sont bien en deçà du milliard d’euros supplémentaire demandé par la profession dès 2025.
Tout d’abord, l’assurance-maladie met sur la table une enveloppe qu’elle estime à 7,918 milliards d’euros, soit 1,128 milliard d’euros de rémunération supplémentaire pour le réseau par rapport à 2019 (année de référence)… mais à horizon 2027. Pour 2025, il faudra seulement compter sur 734 millions d’euros de plus.
« Si on calcule pour chaque pharmacie, les montants avancés par la CNAM ne sont pas si significatifs, analyse Guillaume Racle, conseiller à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Sur l'année 2023-24, cela produirait en l'état 1 700 euros par an et par officine selon les projections de l’assurance-maladie sur l’évolution tendancielle espérée de la marge brute, à cela s'ajouterait donc la revalorisation proposée par la CNAM de 1 300 euros par an et par officine. Ce qui ferait donc en tout 3 000 euros par an pour chaque pharmacie. Cela n'est pas avec ça que l'on réussirait à payer nos salariés au vu de l'état de notre trésorerie. Pour la période 2023-27, le tendanciel de la CNAM prévoit une augmentation naturelle de 5 500 euros par an et par officine, la CNAM ajouterait à cela 2 200 euros par an et par officine, donc en tout 7 700 euros par et par officine. Ce sont des sommes dérisoires au vu des besoins des officines. »
La CNAM propose aussi une clause de revoyure à l’été 2026.
Quelques centimes pour les honoraires de dispensation
L’assurance-maladie propose une hausse de 5 centimes d’euros pour l’honoraire à l’ordonnance à partir de janvier 2025, auxquels s’ajouteront 6 centimes supplémentaires en janvier 2027 (sous réserve de la clause de revoyure). Elle propose aussi de revaloriser l’honoraire lié à l’âge de 9 centimes, cette fois à partir de janvier 2026. « Cela représente donc 120 millions d’euros en tout, dont la majorité n’arriverait que dans 2 ou 3 ans », résume Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO.
Une ROSP vaccination
La revalorisation de la prescription des vaccins par le pharmacien passera par une ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique), pour inciter les pharmaciens à promouvoir la vaccination. Chaque année, le pharmacien percevra 3 euros par vaccination prescrite facturée, sous conditions. La ROSP sera déclenchée si le taux de vaccinations prescrites représente plus de 5 % de l’ensemble des vaccinations réalisées à l’officine en 2024, 15 % en 2025 et 25 % en 2026. « Je suis d’accord avec l’idée, mais sur deux ans, 2024 et 2025, car en 2024 il n’y a pas de possibilité de revalorisation sauf de payer en ROSP, explique Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Mais je demande qu’à partir de 2026, ce soit une rémunération à l’honoraire. »
TROD : la prescription des antibiotiques à 15 euros
Sur la rémunération des TROD angine et cystite, la CNAM a proposé 10 euros si l’ordonnance vient du médecin et 10 euros également si c’est le pharmacien qui est à l’origine de la prescription du TROD et que ce dernier s’avère négatif. Le pharmacien recevrait en revanche 15 euros s’il est prescripteur et que le résultat du TROD est positif. C’est mieux que les 9 euros proposés initialement mais loin des 25 euros espérés. « L’assurance-maladie a cette façon de penser : l’acte global est rémunéré 15 euros, auquel s’ajoute la délivrance des antibiotiques, dont la marge est estimée à près de 7 euros. Pour l’assurance-maladie, ça fait 22 euros », démontre le président de la FSPF.
Les gardes de nuit valorisées
L’assurance-maladie propose une majoration de l’honoraire de garde de nuit de 2 euros. « Ce n’est pas ce que nous voulions », lance Pierre-Olivier Variot. En effet, les syndicats avaient plutôt avancé l’idée d’un honoraire de nuit profonde d’une quarantaine d’euros versé aux pharmaciens lorsqu’ils se déplacent pour assurer leur garde.
Par ailleurs, l’assurance-maladie a annoncé la mise en place d’un groupe de travail avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS), pour redéfinir la notion de garde et les missions que doit effectuer le pharmacien dans ce cadre. Une ambition qui, cette fois, sied à la volonté des représentants de la profession. Seul problème : « On ne sait pas quand ce groupe de travail se mettra en place », s’inquiète le président de l’USPO.
Une substitution des biosimilaires et hybrides renvoyée dans les cordes
« L’assurance-maladie, avant cette dernière séance de négociation, s’était engagée à obtenir du gouvernement l’égalisation des marges entre biomédicaments et biosimilaires, également pour les médicaments hybrides », rapporte Philippe Besset. C’est l’incitation financière qui manque encore pour développer la substitution.
Mais à l’issue de la séance de négociation, « l’assurance-maladie nous a expliqué que les économies générées par les biosimilaires allaient être fléchées vers d’autres professions de santé, ajoute Pierre-Olivier Variot. Sur les biosimilaires, nous voulions un accord gagnant-gagnant entre les pharmaciens et l’assurance-maladie mais si cette dernière réalise des économies sur les biosimilaires, elle ne compte pas rétribuer les pharmaciens. »
Un outil contre les fraudes
Pour vérifier, par tous les moyens, les ordonnances frauduleuses, l’assurance-maladie mettra à disposition des pharmaciens le 12 juin ASAFO, pour « Alerte sécurisée aux fausses ordonnances », qui permet de référencer des fausses ordonnances. Elle propose aussi une ROSP de 100 euros. « Pour y prétendre, le pharmacien devrait s’y connecter au moins une fois pendant 90 % des semaines de l’année. Cela nous convient moyennement, mais le principal problème est qu’aujourd’hui ASAFO est difficilement utilisable. Nous voulons qu’il soit interopérable avec nos logiciels métier, ce qui n’est pas le cas pour l’instant », demande Pierre-Olivier Variot.
Pharmacies fragiles : le dilemme
Parmi les mesures positives du projet de convention, une aide maximale de 20 000 euros par an pour les officines seules au village, dans des zones de désertification médicale, avec un chiffre d’affaires inférieur au seuil nécessitant un pharmacien adjoint. Selon Philippe Besset, 1 000 à 2 000 officines sont concernées. Il pose le problème : « Si on ne signe pas cette convention, les pharmacies rurales n’auront pas 20 000 euros d’aides en début d’année. Si on ne prend pas ce qu’il y a sur la table, des centaines de pharmacies supplémentaires vont fermer, de notre responsabilité. »
Ces propositions ne sont pas définitives et la FSPF a soumis une contre-proposition à la CNAM. Quoi qu’il en soit, « c’est très décevant et cela ne tient absolument pas compte de l’investissement des pharmaciens. Les pouvoirs publics continuent de nier la réalité de l’économie officinale aujourd’hui. La mobilisation est plus que jamais d’actualité. Si on ne la fait pas, le réseau va souffrir », prévient Pierre-Olivier Variot. « Pour ouvrir les yeux du gouvernement sur les conséquences des politiques menées depuis de trop nombreuses années, nous n’avons, dans l’immédiat, d’autre choix que de baisser le rideau », résume la FSPF.
5 raisons de faire grève
Syndicats, groupements, étudiants et Ordre ont lancé un appel à la mobilisation générale le 30 mai, pour sensibiliser le public et les pouvoirs publics sur :
- « L’impérieuse nécessité » d’aller plus loin dans la proposition de l’assurance-maladie. Les syndicats exigent des mesures à la hauteur des enjeux et l’assurance-maladie est invitée à revoir sa copie ;
- Les ruptures de médicaments, chronophages, qui constituent un problème majeur pour la population et les pharmaciens. « Il y a une sorte de double discours du gouvernement qui doit cesser. Il y a un engagement de réindustrialisation du pays mais en même temps des baisses de prix », explique Philippe Besset ;
- La fermeture des officines. « Quelle que soit la hauteur des revalorisations obtenues lors de la négociation conventionnelle, ça ne réglera pas les liquidations judiciaires qui sont en cours. C’est de la désespérance et ça crée un manque d’attractivité », rapporte encore Philippe Besset ;
- La libéralisation de la vente en ligne de médicaments « qui a pour objectif de déréguler la pharmacie », soulève l’USPO. « Les stocks déportés, c’est non ! », lance la FSPF ;
- La réforme des études du 3e cycle, avec la mise en place d’un DES pharmacie d’officine qui se fait toujours attendre.
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