Moteurs de la profession en région, les URPS ont aussi un rôle visionnaire. En témoignent les nombreuses expérimentations menées sur le terrain et désormais transcrites dans les textes conventionnels. C'est donc à ce poste d'avant-garde que l'URPS Île-de-France a convié ses homologues et les URPS d'autres professions de santé pour analyser le potentiel des avancées majeures acquises pendant la crise sanitaire.
Celle-ci n'a pas fait seulement que propulser les officinaux sur les devants de la scène de la santé de ville. Elle a aussi levé certaines barrières entre pharmaciens et médecins. C'est un praticien, le Dr Bertrand de Rochambeau, gynécologue obstétricien et vice-président de l'URPS médecin d'Île-de-France, qui se félicite de ce rapprochement. « Il y a deux ans, rien n'était prévu, nous étions sans masque, sans gel, sans vaccin. Nous avons appris, nous les médecins, à venir vers le pharmacien. »
Il reste désormais à la profession à capitaliser sur la confiance des autres professionnels de santé comme sur celle de la population et des pouvoirs publics. L'exercice de demain se construira sur cette base tout comme l'avenir se déclinera sur le triptyque : dépistage, entretiens pharmaceutiques et vaccination.
Rigueur dans les choix
La journée des URPS s'est ouverte sur la parution au « Journal officiel » de l'arrêté portant sur la remise par le pharmacien du kit du dépistage du cancer colorectal. Sa portée symbolique n'a pas échappé aux participants tant ce nouveau pas ancre l'officinal dans son rôle de dépistage. Mais tandis qu'il gagne un galon supplémentaire dans la prévention, le pharmacien se doit de monter en puissance dans ses compétences en matière de dépistage. Test Covid et grippe aujourd'hui, TROD infection urinaire bientôt, mais aussi TROD VIH et hépatite C et VRS… la palette est appelée à s'élargir. Mais attention, le pharmacien joue sa crédibilité dans le choix rigoureux de ses tests et leur qualité, insiste le Dr Thierry Prazuck, chef du service des maladies infectieuses du CHR d'Orléans. « Que ce soit pour les tests Covid dont la sensibilité diffère selon les variants, ou pour les tests VIH, dont le choix doit être modulé en fonction de la date de la potentielle contamination », insiste-t-il.
De même, les quelque 18 millions de vaccins Covid injectés à l'officine, ajoutés à ceux des deux dernières campagnes antigrippales, ne sont que le prélude à l'action de l'officinal dans la vaccination des Français. La vaccination en officine contre le pneumocoque – recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS)- doit figurer au premier rang, insiste le Dr Mathias Vacheret, responsable scientifique des vaccins du Laboratoire Pfizer. « Les infections invasives à pneumocoques (IIP) de l'adulte, c’est-à-dire quand le pneumocoque atteint un liquide stérile comme le liquide céphalorachidien ou provoque une bactériémie des autres organes, sont les plus graves. Elles se soldent dans 31 % des cas par un séjour en réanimation, dans 22 % des cas, par la mort. » Le risque étant par ailleurs majoré chez les patients chroniques à l'instar des patients immunodéprimés, au moins 12 % de la population française serait éligible à cette vaccination et à son rappel dans les cinq ans.
Le rôle politique des URPS
Jean-Marie Cohen, médecin généraliste, chercheur et président-directeur général d'Open Rome, plaide lui aussi pour que le vaccin contre le pneumocoque, « simple, efficace et sans danger » soit systématiquement proposé aux patients éligibles par les pharmaciens. « Il faut en avoir le réflexe au comptoir et à l'EHPAD lorsqu'on y intervient », insiste-t-il, rappelant que l'infection à pneumocoque est la principale cause de surinfection en cas de grippe. Pourtant, cette maladie qui cause plusieurs milliers de décès chaque année échappe aux radars des statisticiens de Santé publique France, remarque-t-il.
De même, les pharmaciens doivent, selon lui, s'emparer du vaccin HPV. Une autre vaccination recommandée en officine par la HAS qui permet d'échapper à ce virus cancérigène silencieux mais persistant dans 10 % des cas, engendrant alors lésions précancéreuses et cancer. « Face aux difficultés pour atteindre les préados et ados, il est absolument nécessaire que les pharmaciens — et les autres professionnels de santé — se mobilisent. Il revient à toutes les URPS d'agir en commun sur le terrain pour lutter contre la méfiance. Elles ont un rôle éminemment politique », estime Jean-Marie Cohen.
La transformation du métier passera également par le développement des entretiens pharmaceutiques. William Le Bellego, président de l'éditeur de logiciels de gestion de pharmacie, (LGO) Pharmaland, n’en énumère pas moins d'une douzaine. Son LGO est ainsi conçu qu'il est possible d'effectuer toutes les tâches préliminaires à partir du poste de travail au comptoir, ciblage des patients éligibles, identification, émission de message à ces patients, recueil des données, historique des délivrances et des posologies, intégration de l'entretien et même, envoi du courrier au médecin traitant dans le cas du bilan partagé de médication (BPM).
Coffre-fort des données santé
Ces différentes étapes, Alicia Petit, pharmacienne adjointe en Haute-Garonne et formatrice, les maîtrise déjà parfaitement pour avoir au moins une centaine de BPM à son actif. Une expérience qui lui permet de fournir les clés d'un BPM réussi à ses confrères. « La première étape est de réunir toute l'équipe afin de l'informer des objectifs de l'entretien et des critères d'éligibilité des patients. Ainsi, tout en s'aidant du pop-up du logiciel qui apparaît à l'écran, les préparateurs peuvent recruter des patients au comptoir », énonce l'officinale. Elle passe également en revue les « portes d'entrée » pour recruter efficacement : nouveau traitement, nouvelle posologie, sortie hospitalière, mais aussi manque de connaissances avéré. « J'ai aussi préparé un petit quiz sur le diabète que je donne à remplir au patient pendant que je prépare son traitement. Il peut ainsi se rendre compte par lui-même de ses lacunes. »
Le BPM se propose idéalement au moment du renouvellement. Ainsi, Alicia Petit dispose d'un mois pour préparer son bilan en prévision de l'entretien conseil. Si elle puise dans de nombreux outils pour se documenter, elle se veut toutefois rassurante. « Au fur et à mesure qu'on réalise des BPM, on se rend compte qu'on rencontre toujours les mêmes produits, le Kardégic, le Lévothyrox… » Elle conseille de débuter avec des ordonnances de cinq molécules. « Même dans ces cas-là, on trouve quelque chose à dire au patient et à mentionner dans le courrier au médecin prescripteur ! », s'amuse-t-elle.
Si les réactions des médecins à ces courriers sont hétérogènes, cette transmission est primordiale. « Il est évident que le médecin doit être mis au courant de tout ce qu'on dit au patient et de ce qu'on a fait, c'est le fondement même de l'interpro », affirme Renaud Nadjahi, président de l'URPS pharmaciens d'Île-de-France. Une conviction qui rejoint les préoccupations du Dr de Rochambeau dans la perspective de la prochaine crise sanitaire. « Les médecins et les pharmaciens doivent travailler en étroite coopération et s'organiser de manière créative sur le territoire, via leurs URPS. Ils ne doivent pas attendre l'État ou l'ARS pour se prendre en main. Nous devons travailler à ces objectifs avant que nous soyons rattrapés », exhorte-t-il. Dans l'immédiat, cependant, il estime qu'en Île-de-France, « une région où les ressources deviennent rares », les pharmaciens et les médecins doivent partager les actions de dépistage tout comme l'information, « pour être acteurs autour du patient ».
Le pharmacien concentre en effet toutes les informations concernant le patient. « Le médecin traitant ignore que son patient prend de la levure de riz rouge ! », cite en exemple Renaud Nadjahi. Aussi plaide-t-il pour une inscription systématique des produits d'automédication au dossier pharmaceutique (DP). Jean-Marie Cohen va plus loin et estime que les pharmaciens devraient devenir « les coffres-forts des données de santé, à l'instar des notaires qui ont obtenu d'être les coffres-forts de la propriété ».
Mais la contrepartie de cette place pivot dans le système de santé est l'assurance d'une formation continue de qualité. Renaud Nadjahi est implacable. « Pour relever les défis de ces avancées majeures qui nous attendent, nous avons l'obligation de nous former pour être à la hauteur de ces missions ». Car, prévient-il, « dans les mois et les années qui viennent, nous devrons aller encore plus loin que le chemin que nous avons parcouru depuis la crise Covid ».
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