Avec l'avènement de la nouvelle convention, la transformation du métier de pharmacien est loin d’être terminée. Et avec elle, les mutations de l’économie officinale. L'enjeu est en effet d'intensifier le mouvement déjà engagé pour répondre aux tendances qui s'affirment. D’une part, la croissance du chiffre d’affaires lié aux prescriptions de ville continue de ralentir : 5 % depuis le début d’année, 2 % entre la mi-mai et la mi-juin, contre 9 % il y a encore un an. D’autre part, le volume d’affaires provenant des prescriptions hospitalières croît de 16 % depuis janvier, sans toutefois égaler les performances exceptionnelles de 2020 (+29 %), conséquences de la sortie hospitalière dans le cadre des mesures d’urgence. Pendant ce temps, le conseil a poursuivi sa croissance à 13 % au cours des cinq premiers mois.
Ces évolutions influent sur le paysage officinal avec des tendances plus ou moins affirmées selon le profil de pharmacie, comme le souligne David Syr, directeur général adjoint de GersData, à l’origine de ces statistiques. En fonction du nombre de clients/jour, il est en effet possible de déterminer les parts respectives détenues au sein du chiffre d’affaires par le médicament remboursable et les produits conseils. Ainsi, une officine totalisant 75 à 100 clients/jour détiendra en moyenne 80 % de son chiffre d’affaires (de 800 000 euros à 1,490 million d'euros) en médicaments remboursables et 4 à 7 % en conseil. Alors qu’à l’autre bout de l’échelle, la pharmacie d’un chiffre d’affaires de 3,1 à 7 millions d’euros et de plus de 300 patients/jour aura une activité conseil supérieure à 20 % pour une part du remboursable sous le seuil des 50 %.
Pour un tiers du réseau officinal, comptabilisant entre 150 et 200 clients/jour pour un volume d’activité de 1,5 à 2,3 millions d’euros, la part du remboursable reste prépondérante tandis que le conseil est réduit à la portion congrue. « Ces officines devront diversifier leur offre tout en l’appuyant sur leur activité du médicament remboursable », analyse David Syr (1). Or aujourd’hui, la diversification ne passe plus seulement par le développement de certains segments de vente, mais aussi par celui des services. « L’officine doit devenir un cabinet pharmaceutique, un hub où le patient trouvera des solutions à ses besoins de santé », poursuit David Syr prédisant à un « grand chambardement ».
Une pharmacie sur sept réalise des BPM
Il en veut pour preuve l’exemple de pharmacies déjà engagées dans ce mouvement. 11 % des pharmacies ont ainsi proposé une téléconsultation au cours des douze derniers mois. « Il ne s’agit plus seulement d’offrir ce service dans des déserts médicaux mais aussi de permettre aux patients de prendre rendez-vous avec le médecin souhaité et dans les meilleurs délais », relève le directeur adjoint de GersData. Il souligne une surreprésentation des vingt-quarante ans parmi les usagers de ce service, soit une pyramide des âges proportionnellement inversée à celle de la clientèle habituelle de l’officine.
Autre vivier permettant de développer les services, les patients chroniques. En effet, la part du chiffre d’affaires relevant de ces pathologies ne cesse de croître (70 % du chiffre d’affaires du médicament remboursable en avril 2022 contre 68 % un an auparavant). Pourtant 15 % seulement des pharmacies réalisent aujourd’hui la totalité des bilans partagés de médication et des entretiens pharmaceutiques pour une moyenne de 16 bilans par pharmacie. Cette moyenne cache cependant une concentration sur 1 % des officines qui réalisent 50 % de ces bilans tandis que 5 % du réseau officinal en totalisent 90 % ! C’est dire la marge de progression… Plus en détail, 3 % des pharmacies mènent 66 entretiens AVK, 4 % 229 entretiens nouveaux anticoagulants oraux pendant qu’un tiers ne réalise respectivement que 8 et 35 de ces entretiens. Pour un potentiel moyen que le GersData situe à 22 entretiens AVK et 86 nouveaux anticoagulants oraux.
2 millions d’injections supplémentaires à venir
Parmi les services en officine, la vaccination est sans aucun doute celui qui s’est le mieux installé au sein du réseau officinal et dans la pratique professionnelle. Si 27 % des officines totalisent 50 % des vaccinations en 2021, 92 % du réseau officinal vaccinent, contre 85 % en 2019. L’année dernière, 43 % des vaccinations ont été réalisées en officine, contre 25 % deux ans auparavant. Des débuts prometteurs pour ce service. Pourvu que le ministère de la Santé suive l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) qui recommande d’autoriser les pharmaciens à prescrire et administrer les vaccins contre la diphtérie-tétanos-coqueluche-poliomyélite, le papillomavirus, le pneumocoque, les hépatites A et B, les méningocoques A, C, W, Y ainsi que la grippe. Dans l’éventualité d’une telle extension, se basant sur un taux similaire à celui atteint pour la grippe - soit 43 % des vaccinations en officine - le GersData estime à 2 millions le nombre d’injections supplémentaires qui seraient effectuées, chaque année, par les pharmaciens (2).
Ces projections laissent-elles entrevoir une source de revenus pour l'officine dans les prochaines années ? Rien n’est moins sûr. Car négocié jusqu’à présent à 6,90 euros (7,50 euros prochainement) par les partenaires conventionnels, cette rémunération peine à se justifier au regard du temps passé. « Aucun ticket de caisse n’est moins rentable que cela », se risque même à lâcher David Syr. « À moins que le pharmacien et son équipe n’y voient une capacité à renforcer leur lien avec le patient et à instaurer un meilleur accompagnement dans la durée », suggère-t-il. En tout état de cause, le directeur général adjoint du GersData est formel, les nouvelles missions vont bouleverser le rapport au temps passé avec le patient. Tout comme la marge ne pourra plus uniquement se calculer par ticket de caisse, la durée de la prise en charge devra être considérée comme un investissement. « Demain, les missions seront un enjeu pour créer de la valeur dans les échanges », résume David Syr.
Une posture proactive
Encore faut-il que les pharmaciens en prennent conscience et adoptent une posture proactive. « Il ne s'agit plus seulement de servir les patients, maintenant il faut proposer. C'est un nouveau métier, il faut identifier la personne qui est en face de nous et voir comment on peut améliorer son parcours de soins », déclarait en écho Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, lors du congrès de Lille, le 25 juin. L'avenant 11 à la précédente convention pharmaceutique avait introduit l'essentiel des nouvelles missions, la nouvelle convention les ancre en s'appuyant sur le rôle de professionnel de santé du pharmacien. Il restera à donner au volet économique de cette convention l'envergure nécessaire pour soutenir l'officine dans ce nouveau virage.
Alors que la convention a jusqu'à présent mis 150 millions d'euros à disposition du réseau officinal, Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) chiffre au bas mot à plus de 200 millions d'euros les besoins supplémentaires. « Ne serait-ce que pour combler la hausse des salaires des collaborateurs. » Se référant aux chiffres des experts-comptables, il rappelle que les missions Covid ont rapporté en moyenne entre 13 900 et 22 000 euros net aux pharmacies, en 2021. On est loin des 95 000 euros annoncés par Thomas Fatôme, directeur général adjoint de l'assurance-maladie, lors du congrès de la FSPF.
(1) Chiffres communiqués lors des Rencontres de l'officine le 19 juin.
(2) Adultes et adolescents.
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