Quelques situations de tensions dans les officines. C'est ce qu'a admis, du bout des lèvres, Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie, devant l'Assemblée nationale le 27 octobre, alors qu'elle était interpellée sur la situation de la campagne vaccinale.
« Nous avons pu en effet observer quelques tensions d'approvisionnement des pharmacies en doses. À ce jour, 16 % des officines pharmaceutiques y sont confrontées », a admis la ministre. Des statistiques qui sont visiblement loin de refléter la réalité du terrain. Et qui n'ont pas manqué de faire réagir les syndicats de la profession. « J'ai interpellé le ministre suite à ces déclarations, annonce Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). L'Ordre évoquait le chiffre de 83 % de pharmacies en rupture, alors une telle différence nous a forcément interloqués. Le fait est que le gouvernement n'a pas la même définition que nous du mot "rupture". Pour eux, une pharmacie en rupture n'a plus de vaccins aujourd'hui et ne recevra plus de nouvelles commandes d'ici à la fin de la campagne. Ils ne comptent donc pas celles qui doivent encore recevoir des livraisons, ce qui explique pourquoi ils évoquent ce chiffre de 16 % d'officines concernées au 24 octobre », expose Philippe Besset.
Le président de la FSPF rappelle que, quoi qu'il en soit, un nombre très important d'officines n'auront plus de vaccins dans quelques jours : « Nous maintenons les chiffres que nous avons évoqués ces derniers jours. C'est une question de point de vue, mais n'oublions pas que, comme c'est mon cas dans ma pharmacie, une part importante des vaccins que nous allons recevoir est déjà réservée à des patients prioritaires. » Est-ce de la part du gouvernement une manière de minimiser la situation ? « Personnellement, je ne veux pas entrer dans la polémique, déclare Philippe Besset. Ce que je reproche avant tout au ministère, c'est de ne pas avoir plus fortement réglementé la priorisation des patients pour l'accès au vaccin. Je plaidais pour qu'un arrêté clarifie les choses pour les patients hors de la population cible, à qui l'on continue de dire qu'ils pourront se faire vacciner après le 1er décembre, mais à mon avis cela ne va pas se faire. »
Des doses au frigo
De toute évidence, les déclarations de la ministre immédiatement reprises dans les médias vont mettre les pharmaciens dans une situation délicate au comptoir face aux patients. Et il s'agit à nouveau d'un couac entre le gouvernement et la profession. Car les chiffres indiqués par Brigitte Bourguignon ont dû être arrêtés au début de semaine dernière, analyse Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). En effet, indique-t-il, « 7,1 millions de doses de vaccin avaient été délivrées dans les pharmacies vendredi dernier alors que les industriels en avaient mis 7,5 millions sur le marché lors de la première vague de livraison ». Autant dire que le marché est aujourd’hui asséché. Car, comme le précise, Gilles Bonnefond, « les 400 000 doses restantes sont des vaccins réservés par les pharmaciens à leurs patients ». Et d’ironiser : « Si la ministre dit qu’il n’y a pas de ruptures, c’est parce que ces doses sont au frigo ! »
Quoi qu’il en soit, affirme le président de l’USPO, s’appuyant sur les chiffres d’IQVIA du jeudi 22 octobre, « à cette date, quand un patient se présentait, on devait lui répondre dans 70 à 80 % des cas qu’il n’y avait plus de vaccin ». La situation s’est aujourd’hui aggravée et les pharmaciens attendent avec impatience la livraison de 1,3 million de doses supplémentaires d'ici à la fin de cette semaine comme cela était prévu. Une situation intermédiaire qui ne satisfait pourtant pas le président de l’USPO à l’aube d’un nouveau confinement. « Pourquoi ne pas nous avoir livrés tout de suite les 3 millions de doses prévues entre la 44 et la 48e semaine ?, s’insurge-t-il, ajoutant qu’en raison de ces retards pris dans les livraisons, on va avoir un décalage et avec le confinement certains patients ne pourront pas se faire vacciner, on va rater cette saison vaccinale. »
Des grandes entreprises approvisionnées
Pour conclure cette bataille de chiffres avec la ministre, le président de l’USPO est formel, les officines n'auront pas les 13 millions de doses initialement promises par les laboratoires, mais bien uniquement 11 millions. « Certes 500 000 doses ont été fort heureusement distribuées dans les hôpitaux aux personnels soignants. Pour ce qui est du reste, elles ont dû être vendues dans d’autres pays européens, mais pas à l’officine, c’est scandaleux ! », dénonce-t-il. Quant au stock de 2 millions de doses promis par l’État, ils ne devraient être disponibles que fin novembre. Mais là aussi Gilles Bonnefond tempère son enthousiasme. « Elles ne contiennent pas d’aiguille et sont conditionnées par dix, les clés de répartition restent encore à fixer », constate-t-il.
Enfin autre bug de cette saison vaccinale qui ne fait que commencer : si les pharmaciens ont, dans leur grande majorité, joué le jeu en délivrant le vaccin uniquement aux patients munis de bons, les laboratoires ont approvisionné certaines grandes entreprises au mépris des règles de priorisation dictées par la direction générale de la Santé (DGS). Le président de l’USPO ne cache pas sa colère : « J'ai des informations concernant Airbus, Benneton, Radio France, France Télévisions et certaines préfectures qui ont été approvisionnées en vaccin, autant de doses qui auraient pu être intégrées au circuit officinal ! »
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