Elément-clé du déconfinement, le port du masque devrait être rendu obligatoire dans les transports en commun, dans les entreprises et peut-être dans d'autres lieux accueillant du public.
Si l'exécutif veut rester « dans le registre de la recommandation », les Français seront massivement encouragés à s'en procurer. Plusieurs modes de distribution ont été identifiés pour permettre à un maximum de Français d'y avoir accès. « Toutes les hypothèses sont envisagées », a annoncé la secrétaire d'État à l'Économie, Agnès Pannier-Runacher. Mairies, grande distribution, plateforme AFNOR, e-commerce, buralistes, magasins vendant du textile… et bien sûr les pharmacies, comme s'y était engagé Olivier Véran dès le 21 avril. Une annonce bien accueillie par les représentants de la profession, à l'image de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) qui avait milité pour que les officinaux deviennent distributeurs de ces masques complémentaires aux mesures barrières. Le syndicat s'est déjà rapproché des groupements et des grossistes-répartiteurs afin de leur demander de s’approvisionner dans la perspective du déconfinement, mais, pour Philippe Besset, président de la FSPF, il est encore trop tôt pour donner des directives précises. « Il me semble indispensable de se baser sur les normes fixées par l'AFNOR, mais pour le moment je veux rester prudent sur les consignes d'achat. Il faut tout d'abord attendre que l'arrêté fixant la liste des produits autorisés à la vente en officine soit modifié, ce qui, espérons-le, arrivera le plus tôt possible. » Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP) a en effet demandé officiellement d'ajouter à la liste « les masques réservés à des usages non sanitaires, conformes aux spécifications techniques en vigueur, fabriqués selon un processus industriel et délivrés dans le cadre de campagnes de santé publique ». Ce qui est chose faite depuis dimanche.
Faudrait-il envisager que les pharmaciens ne distribuent que les masques alternatifs les plus efficaces, ceux de type 1 et 2 (voir encadré), ou devrait-on laisser plus de souplesse ? Philippe Besset a son opinion. « Je ne crois pas qu'il soit possible ni souhaitable de réserver aux pharmaciens les modèles les plus performants, estime-t-il. L'encadrement des prix me semble également compliqué à mettre en place, pour moi ce n'est pas nécessaire car les prix s'encadreront d'eux-mêmes. » Le 24 avril, Olivier Véran avait évoqué un prix compris entre 2 et 5 euros en se basant sur le prix de la production textile.
Vendre des masques alternatifs : oui mais lesquels ?
Relation avec les mairies qui pourraient vouloir s'appuyer sur les pharmacies pour la distribution, encadrement du prix, spécification des modèles qui seront distribués ou non en officine… des points qui, pour le moment, ne font pas consensus. Faut-il commander ces masques alternatifs dès maintenant ? Un autre débat encore loin d'être tranché. Présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), Carine Wolf-Thal ne veut pas imposer de ligne directrice sur cette question. « Est-ce qu'il faut anticiper ou pas ? Ceux qui commandent dès maintenant n'ont pas forcément de garantie sur la date de réception mais, d'ici peu, ce marché sera très compétitif et on observera sans doute des tensions. En réserver dès maintenant, sans attendre la modification de l'arrêté, c'est un pari mais cela reste une décision propre à chaque chef d'entreprise. » Seule certitude pour la présidente du CNOP « les pharmacies ne pourront pas vendre des masques chirurgicaux à court terme, tant que les besoins des professionnels de santé ne seront pas assurés ».
Carine Wolf-Thal estime par ailleurs qu'il est pertinent de réserver aux officines les masques alternatifs les plus performants. « Il n'est pas question que les pharmaciens distribuent des masques fabriqués par l'association du coin. Si les officines distribuent des masques de catégories 1 et 2 uniquement, qui ont un important pouvoir de filtration, les patients sauront que s'ils viennent en pharmacie ils auront accès aux modèles les plus qualitatifs », juge-t-elle. Attelée à la rédaction du nouvel arrêté, en lien avec le ministère de la Santé, elle rappelle que l'expertise du pharmacien en termes de conseil, d'accompagnement et d'explications sur les gestes barrières, doit lui permettre de se différencier vis-à-vis des autres acteurs qui seront impliqués dans leur distribution.
Gare aux arnaques
Quoi qu'il arrive, l'arrêté modifiant la liste des produits autorisés à la vente en officine, qui permettra d'inclure ces masques alternatifs, devrait être pérenne. Ces masques alternatifs pourraient donc prendre durablement place dans les rayonnages des officines. Depuis quelques semaines déjà, pharmaciens et groupements reçoivent mails et coups de téléphone venant de fournisseurs plus ou moins sérieux. Sans connaître la date à laquelle ils seront autorisés à vendre ces masques grand public, certains ont donc pris les devants et ont déjà été livrés, non sans avoir pris des précautions au préalable.
Le groupe Lafayette, et son président Hervé Jouves, ont ainsi annoncé, dès le 22 avril, la réception de 3,5 millions de masques en tissu à haute filtration fabriqués par l'entreprise française Coco & Rico, spécialisée dans les vêtements et les accessoires écoresponsables. « Nous avons toujours pensé que les masques chirurgicaux devraient être réservés aux professionnels de santé. Dès le début du mois, nous avons commencé à prendre des contacts avec des fabricants de masques dont les produits ont été validés par la Direction générale des armées (DGA). » Pour Hervé Jouves, une évidence s'est tout de suite imposée, faire appel à un producteur français. « Parmi les propositions que je reçois quotidiennement depuis 15 jours, il y a beaucoup d'impostures, notamment de fournisseurs basés à l'étranger. On nous demande parfois de payer d'avance, on se rend compte que des commandes passent par des paradis fiscaux. Il n'y a souvent aucune certitude sur la conformité des produits. Les entreprises françaises ont un grand avantage, on peut les retrouver facilement. Mieux vaut passer par un fabricant qu'on connaît que traiter avec un interlocuteur situé à 10 000 km », observe Hervé Jouves. Dans les 200 officines du réseau Lafayette, ces masques en tissu devraient être vendus pour moins de 3,50 euros l'unité.
Une pénurie (déjà) imminente ?
Président de l'Union des groupements de pharmacies d'officine (UDGPO), Laurent Filoche n'a pas non plus tergiversé pour se fournir en masques alternatifs. En fin de semaine dernière, il a reçu une livraison de masques de type 2 qui seront distribués à son réseau, Agir Pharma. Il n'a, en revanche, pas réussi à se procurer des modèles de type 1, les plus performants, et redoute déjà une pénurie sur ces derniers. « Pour donner un ordre d'idée, il y a un fabricant de type 1 pour 15 fournisseurs de type 2, explique Laurent Filoche. Les modèles de type 1 répondent à des normes franco-françaises, très peu de sociétés européennes se sont positionnées et plusieurs fabricants hexagonaux les réservent en priorité aux entreprises et aux collectivités. Les pharmacies auront-elles assez de masques de type 1 pour équiper la population ? Cette question se pose déjà », observe le président de l'UDGPO. Pour lui, la demande sur ces masques alternatifs de haute qualité sera telle qu'il risque d'être plus facile de s'approvisionner en masques chirurgicaux d'ici à quelques jours.
S'il est bien conscient que la pharmacie ne sera pas le seul canal de distribution mis à contribution, il plaide tout de même pour que « les masques de type 1 soient réservés à l'officine ». Un combat qui n'est pas gagné d'avance. Longtemps en suspens, la possibilité donnée aux pharmaciens de vendre des masques grand public s'est finalement précisée au cours des derniers jours. Elle pourrait être effective dès le 4 mai, laissant très peu de temps à ces derniers pour s'adapter. « Vu les délais annoncés, de nombreuses officines ne pourront pas être approvisionnées à temps, alors que nous demandons depuis plusieurs semaines à pouvoir le faire », regrette vivement Laurent Filoche qui ne cache pas son mécontentement et son incompréhension face à ces revirements incessants.
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