LES PHARMACIENS n’ont pas peur des nouvelles missions. L’accompagnement des patients sous traitement antivitamine K (AVK) est possible depuis la fin du mois de juin dernier. Et en seulement trois mois, 7 341 officines ont déjà pris en charge 37 315 patients, selon les données de la CNAMTS*. Comment cela se passe-t-il en pratique ? Quatre titulaires se sont confiés au « Quotidien » : Jean-François Brunengo, installé à Lherm (Haute-Garonne) a déjà vu pratiquer une dizaine d’entretiens dans sa pharmacie, dont quatre par lui-même ; Sophie Rademakers, titulaire à Craponne-sur-Arzon (Haute-Loire) en a, elle, effectué 15 depuis le mois de juillet ; Philippe Grilleau, pharmacien à Marans (Charente-Maritime) en a pour sa part mené 5 ; quant à Philippe Bourgade, titulaire à Sancoins (Cher), il en a fait 6 depuis début septembre. Retour sur ces expériences.
Comment recrutent-ils les patients ?
Lors d’une délivrance de traitement AVK, Jean-François Brunengo propose aux patients concernés de participer à un entretien pharmaceutique, en leur expliquant le principe. « Souvent, ils n’ont pas reçu le courrier d’invitation de la caisse d’assurance-maladie, ou n’y ont pas fait attention, indique-t-il. Peu de patients refusent, sauf certains qui pensent tout connaître. » À l’inverse, Sophie Rademakers a surtout répondu aux sollicitations des patients qui avaient reçu le papier de leur caisse, pour 14 entretiens sur 15. Un seul patient a été recruté par la pharmacienne lors de la délivrance de son traitement. Philippe Grilleau et Philippe Bourgade ont également reçu des patients sur présentation du courrier de l’assurance-maladie. « Je suis conscient que ceux qui viennent nous voir spontanément sont plutôt les bons élèves, confie Philippe Grilleau. Dans un second temps, il faudra aller chercher les autres et cela risque d’être plus difficile. »
Quelles formations ont-ils suivi ?
Pour mener à bien ces entretiens, les titulaires ont tous suivi une ou plusieurs formations, ainsi que leurs équipes. Certains ont choisi de participer à des sessions organisées par leur groupement, d’autre part leur grossiste-répartiteur et d’autres encore ont assisté à des sessions de l’UTIP. Philippe Grilleau a également participé à une formation sur l’éducation thérapeutique avec le réseau de diabétologie de l’hôpital de La Rochelle.
* Combien passent-ils de temps pour un entretien ?
Jean-François Brunengo passe entre 30 et 45 minutes avec chaque patient. Sophie Rademakers y consacre désormais 20 à 30 minutes. « Cela me prenait un peu plus de temps au début, mais maintenant j’ai l’habitude, explique-t-elle. C’est un peu plus long avec les patients qui ont plus de difficultés à comprendre. » Philippe Grilleau a mis « 40 minutes lors du premier entretien, et 25 minutes pour le plus rapide ». Le plus long a duré 45 minutes, « avec des personnes qui avaient besoin de davantage d’explications ». Philippe Bourgade a quant à lui « tenu les 20 minutes » prévues dans la convention pour la plupart des entretiens. Deux d’entre eux se sont tout de même prolongés jusqu’à 30 minutes. « Il s’agissait de gens que je connaissais bien, donc cela a pris plus de temps. Pour faire tenir l’entretien en 20 minutes, il ne faut pas se laisser embarquer dans une discussion sur le reste du traitement. »
Sur quelle documentation s’appuient-ils ?
Pour préparer les entretiens, certains titulaires utilisent le guide d’accompagnement des patients sous AVK élaboré par l’USPO. À l’issue de la rencontre, ils remettent généralement au patient le document du Cespharm sur l’utilisation des AVK, et parfois un carnet de suivi de l’INR. Jean-François Brunengo y ajoute une photocopie des classes d’aliments pour lesquelles le patient doit faire attention. « On délivre beaucoup d’information pendant le rendez-vous, on ne peut donc pas laisser la personne repartir les mains vides », commente-t-il. Philippe Grilleau distribue lui aussi beaucoup de fiches de diététiques. « Certains patients n’ont pas besoin de carnet d’INR, car les laboratoires d’analyse leur fournissent des graphes de suivi de leur INR dans le temps, ce qui est bien plus intéressant. »
La rémunération allouée leur paraît-elle suffisante ?
La convention prévoit une rémunération de 40 euros par an et par patient pour assurer ce suivi, à condition que le pharmacien réalise, pour chaque malade, au moins deux entretiens pharmaceutiques au cours de l’année. Selon les syndicats, chaque officine pourrait ainsi recevoir entre 1 000 et 1 500 euros par an. Est-ce satisfaisant ? « Si on passe trois quarts d’heures avec la personne, la rémunération n’est pas suffisante », estime Jean-François Brunengo. Ce constat est d’ailleurs globalement partagé par ses confrères. « C’est suffisant, à condition de tenir dans les 20 minutes prévues », commentent Philippe Bourgade et Sophie Rademarkers. Quant à Philippe Grilleau, il estime que « cela ne constituera jamais la base » de son revenu. « Mais nous le faisons plutôt pour gagner de la notoriété et prouver nos compétences scientifiques. »
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Sophie Rademakers a rencontré quelques difficultés avec les infirmiers de son secteur. « Ils l’ont mal vécu au début, car ils craignaient qu’on leur prenne leur travail. Le fait que le pharmacien soit rémunéré pour ces entretiens, alors qu’eux ne le sont pas, était un facteur de discorde. Mais nous les avons rencontrés et avons discuté avec eux, ce qui a permis d’apaiser la situation. » De son côté, c’est avec les médecins que Philippe Bourgade a connu quelques déboires. « Quand les patients leur ont montré le courrier de la Sécurité sociale en demandant ce que c’était, certains médecins l’ont jeté en leur disant de ne pas y faire attention. Je pense qu’il faut mieux informer les médecins de proximité afin d’éviter ce genre de problème. »
Par ailleurs, les titulaires interrogés pointent tous la même contrainte : le temps. « C’est très chronophage », souligne Philippe Grilleau. Il craint également que les patients ne finissent par prendre le pharmacien pour « une société de services ». « Lors de la prise de rendez-vous, ils ont tendance à réclamer des rendez-vous entre 17 et 19 heures, alors que c’est le moment où nous sommes le plus occupés à la pharmacie. Cela risque de poser des problèmes quand nous aurons beaucoup de rendez-vous. »
Enfin, plusieurs titulaires notent qu’ils ont rencontré des difficultés pour se procurer les recueils d’INR en grande quantité via le Cespharm. « Je n’en ai reçu que quelques-uns et je risque d’en manquer rapidement », témoigne Philippe Grilleau.
Quels bénéfices tirent-ils de leur expérience ?
« Les quatre entretiens que j’ai faits se sont extrêmement bien passés, estime Jean-François Brunengo. Les patients étaient très satisfaits. Ils apprécient notamment le fait que le pharmacien s’occupe d’eux. » Il a été agréablement surpris de découvrir que, « en général, les patients ne connaissent pas si mal leur traitement et leur pathologie. En revanche, ils ne savent pas du tout qu’il faut une alimentation spécifique ». Pour lui, ces entretiens permettent de « renforcer le lien avec le patient ». Un avis partagé par Sophie Rademakers, qui note que « ces entretiens nous rapprochent des malades. Ils ont plus confiance en moi et savent désormais que, en cas de souci, ils peuvent me poser leurs questions ». Philippe Bourgade ajoute que, grâce à ces entretiens, « on peut vraiment s’occuper de la personne, sans interférences, contrairement à ce qu’on vit au comptoir, quand on est au milieu du monde. Selon les personnes, le besoin et le bénéfice ressenti est différent. Mais on trouve toujours quelque chose d’utile à apprendre aux patients ». Enfin, Philippe Grilleau a trouvé que « c’était très facile et agréable à faire ». Il insiste sur l’importance d’être formé à la pathologie. « Ensuite, il ne faut pas hésiter à se lancer. Les patients sont très demandeurs et sont ravis de parler de leur ordonnance, pas seulement des AVK. »
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