Personne n'avait anticipé l'épidémie de variole du singe, qui touche aujourd'hui 94 pays, notamment en Europe et sur le continent américain. Jusqu'à présent circonscrite à l'Afrique, où elle est endémique, la variole du singe s'est invitée dans des territoires qui lui étaient inconnus. Le virus de la variole du singe se propage hors du continent africain depuis le mois de mai.
À la date du 24 août, près de 45 000 cas ont été confirmés dans le monde (dont près de 3 500 en France), pour 13 décès, selon l'OMS. Des chiffres qui sont bien sûr à des années-lumière de ceux de l'épidémie de Covid-19 mais qui n'empêchent pas de rester prudent au sujet du virus de la variole du singe. L'épidémie en cours recèle, en effet, de nombreux mystères. Comment le virus est-il sorti de la région où il était principalement présent ? Pourquoi les symptômes observés chez les malades sont-ils si différents de ceux observés habituellement ? Pourquoi touche-t-il quasi exclusivement une catégorie de la population (les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes) ? Enfin, la question peut-être la plus importante, comment va-t-il évoluer ?
Les pharmacies à la rescousse !
Différence fondamentale avec le Covid-19, un vaccin existait déjà dès que les premiers cas ont été observés hors d'Afrique. Le vaccin Imvanex, du laboratoire danois Bavarian Nordic, est un vaccin antivariolique, autorisé par l'Union européenne dans cette indication depuis 2013. Son utilisation contre la variole du singe a été autorisée dès 2019 aux États-Unis, puis cet été par l'Agence européenne des médicaments. Dans le courant du mois de juillet, alors que le nombre de cas augmente en France, une campagne de vaccination est lancée, juste quelques jours après l'arrivée du nouveau ministre de la Santé, François Braun. Rapidement, les premières critiques se font jour. Trop peu de personnes réussissent à se faire vacciner et les créneaux de rendez-vous ne sont pas assez nombreux. Alors que le flou demeure sur le nombre réel de doses dont la France dispose, les autorités sanitaires, finalement décidées à accélérer le rythme de la campagne, cherchent une solution pour y parvenir. Au cœur de l'été, elles décident de demander aux pharmaciens s'ils sont d'accord pour venir en renfort des centres qui proposent déjà cette vaccination. Après la grippe, le Covid-19, et avant d'autres pathologies cet automne, le pharmacien se voit autorisé à vacciner contre une nouvelle maladie. L'acte étant assez complexe à bien des égards, notamment en ce qui concerne la conservation des doses, les autorités sanitaires veulent d'abord expérimenter la vaccination contre la variole du singe en pharmacie sur une très petite échelle. Elles se mettent alors en quête de cinq officines prêtes à participer.
Une pharmacie lilloise intégrée à l'expérimentation
À Lille, Fabien Florack, titulaire de la grande pharmacie de Paris, reçoit un coup de fil au début du mois d'août. « L'URPS Pharmaciens et l'agence régionale de santé des Hauts-de-France voulaient que la région puisse faire partie de l'expérimentation. Une fois qu'ils ont eu l'accord ministériel, ils ont commencé à chercher une pharmacie et m'ont contacté », explique le pharmacien. Son établissement présente toutes les caractéristiques recherchées : il est situé à quelques encablures des deux grandes gares de la capitale des Flandres. Également proche du métro, la pharmacie est facilement accessible, notamment pour des patients vivant hors de la métropole lilloise. Durant la crise du Covid-19, Fabien Florack et son équipe se sont beaucoup investis, en particulier sur la vaccination. Enfin, l'officine lilloise suit de nombreux patients sous traitement pour le VIH. « Mon équipe compte quatre pharmaciens adjoints, nous avions donc la capacité d'absorber cette mission. Lorsqu'on m'a proposé de participer, accepter fut pour moi une évidence. » En plus de l'officine de Fabien Florack, quatre autres pharmacies (deux à Paris, une à Marseille et une à Fréjus, dans le Var) sont retenues pour participer à cette expérimentation.
Quelques jours seulement s'écoulent entre l'annonce des pharmacies choisies et la livraison des premières doses de vaccin à ces dernières. Parce que l'expérimentation doit être rapidement mise en place, et parce qu'elle concerne un nombre très réduit de pharmacies, aucune formation spécifique n'est requise. « En ce qui concerne l'acte d'injection, mon équipe et moi-même étions déjà formés après avoir participé aux campagnes de vaccination contre la grippe et le Covid. Sur la base de ces expériences précédentes, j'ai imaginé comment mettre en place la vaccination contre la variole du singe dans mon officine. Pour être certain de ne pas faire d'erreur et pour être en capacité de vacciner des patients dès le premier jour, j'ai pris contact avec le Centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) de Lille, qui vaccinait déjà depuis quelques semaines. En échangeant avec eux, j'ai pu bénéficier de leur retour d'expérience », explique Fabien Florack. Contrairement à la vaccination contre la grippe en officine, par exemple, qui avait nécessité une interminable expérimentation et une myriade de réunions entre les autorités et les représentants de la profession, les officines participantes ont pu mettre en place la vaccination contre la variole du singe avec une grande autonomie.
200 créneaux réservés en seulement 5 heures
Dès les premiers jours, les créneaux proposés sur Doctolib par la pharmacie lilloise trouvent rapidement preneurs. 130 personnes la première semaine, 200 la semaine suivante, encore 200 de plus pour la semaine en cours. Les 200 premiers rendez-vous ont été réservés en seulement 5 heures. « Le principal objectif de l'expérimentation c'était de vérifier si les pharmaciens allaient être en capacité d'interfacer les rendez-vous avec les doses reçues. Ce que les autorités voulaient à tout prix éviter c'est d'envoyer 200 doses à une pharmacie qui ne serait pas en capacité de tout utiliser. » Une boîte de 20 vaccins unidoses est nécessaire pour une demi-journée de vaccination. Chacune d'entre elles permet d'assurer 20 rendez-vous de 10 minutes. De nombreux Belges, qui ont beaucoup de difficultés à se faire vacciner dans leur pays, ont passé la frontière pour se rendre dans la pharmacie lilloise. « Nous avons eu pour consigne de ne pas faire de différence entre les publics français et belge, c'est le principe de solidarité européenne. Le virus ne s'arrête pas aux frontières. Un Belge vacciné c'est un Français protégé et inversement », rappelle le titulaire nordiste.
« Conseiller les patients sans les juger »
Pour le moment, Fabien Florack n'a pas dû jeter la moindre dose. Lorsqu'un patient ayant pris rendez-vous ne se présente pas, le pharmacien prend son téléphone et trouve sans difficulté un patient pour le remplacer. Le titulaire lillois a effectué lui-même la plupart des premières injections. Depuis, il a formé les quatre officinaux adjoints qui travaillent avec lui (les préparateurs, eux, ne sont pas autorisés à vacciner). « Tout le monde s'implique, veut souligner Fabien Florack. J'ai préparé une trame et des éléments de langage pour mon équipe. Au-delà du savoir-faire nécessaire pour cette vaccination, le savoir-être est très important. On est face à une maladie qui, par bien des aspects, est assimilable à une IST. Il faut donc informer les patients sans les juger, en faisant preuve de bienveillance. » Dans l'espace de confidentialité où il reçoit les patients, le pharmacien ne fait pas qu'injecter un vaccin. Il donne des conseils en matière de prévention et doit, surtout, être à l'écoute. « C'est un sujet sensible. Des jeunes, qui ont souvent du mal à parler de leur sexualité, se confient à nous. C'est une mission qui est très intéressante du point de vue humain. Les patients, eux, sont très satisfaits et apprécient de pouvoir être vaccinés dans un lieu qui offre de la proximité. » Fabien Florack s'est déjà vu offrir du chocolat et des gaufres par des patients venus se faire vacciner.
Dix minutes de rendez-vous ne suffisent pas toujours en revanche pour s'occuper de personnes qui ont, souvent, beaucoup de questions à poser. « Au début, la maladie paraissait lointaine mais aujourd'hui beaucoup d'entre eux connaissent quelqu'un qui l'a eu, ou l'ami d'un ami qui l'a eu. Ils ont aussi beaucoup d'interrogations sur d'autres sujets, la PrEP, la vaccination HPV, le dépistage de certaines maladies… Par conséquent, l'entretien dure souvent plus longtemps que prévu. » Le pharmacien est aujourd'hui rémunéré 9,61 euros pour cet acte, prévu normalement pour durer 10 minutes. Des discussions sont en cours afin de le revaloriser.
Et maintenant ?
Lors d'une réunion organisée en visioconférence, Fabien Florack a pu s'entretenir avec les autres pharmaciens impliqués dans l'expérimentation. Les retours d'expérience de chacun semblent pour l'instant unanimement positifs. Les pharmacies déjà impliquées, qui ont vacciné à elles cinq près de 700 patients à la date du 25 août, ont eu l'assurance de pouvoir continuer en septembre. D'autres officines doivent désormais être intégrées à la campagne. Selon les syndicats, entre 5 et 10 pharmacies vont être impliquées dans chaque région.
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