Les pharmaciens n'oublieront pas de si tôt le début de la campagne de vaccination antigrippale 2020-2021. Les chiffres donnent en effet le tournis. Au premier jour de campagne, le mardi 13 octobre, 2,2 millions de doses de vaccins ont été délivrées en officine dont 400 000 directement administrés aux patients. À la date du 21 octobre, 7,5 millions de doses ont été écoulées par les pharmaciens français selon les chiffres du ministère de la Santé.
L'appel des médecins, de sociétés savantes et même de certains politiques aux personnes âgées et vulnérables à se faire immuniser contre la grippe, alors que l'épidémie de Covid-19 risque d'engorger les hôpitaux cet hiver, a été largement entendu. L'an dernier, seulement la moitié des 16 millions de patients de la population cible avait été immunisée contre la grippe. Va-t-on considérablement améliorer la couverture vaccinale cette année « grâce » à la menace Covid ? Les chiffres exceptionnels des premiers jours s'expliquent peut-être, comme cela a été observé dans l'hémisphère sud, par la peur de la pénurie de la part de patients qui ont parfaitement compris qu'il ne valait mieux pas attendre le mois de novembre. Toujours est-il que cet afflux de demandes a entraîné une pénurie dans de nombreuses pharmacies. Selon l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), 60 % des officines étaient en rupture dès le samedi suivant le lancement de la campagne et plus de 80 % l'étaient dans le courant de la deuxième semaine selon les chiffres du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP).
Des situations difficiles au comptoir
Des ruptures dues à l'engouement des patients mais aussi au séquençage des livraisons, regrette Gilles Bonnefond, président de l'USPO. « Pourquoi les pharmacies n'ont-elles pas été approvisionnées en 2020 de la même manière que les années précédentes ?, questionne-t-il. Les laboratoires ont décidé de nous livrer en plusieurs fois, alors qu'auparavant l'intégralité des commandes étaient reçues avant le début de la campagne. » Pire, Gilles Bonnefond affiche sa déconvenue après avoir appris, le 22 octobre, que le nombre de vaccins prévu dans les officines n'a en réalité pas été revu à la hausse. « On a tous compris qu'il y avait une augmentation de 20 % de l'approvisionnement, qu'il y aurait 13 millions de doses au lieu des 11 millions de l'an dernier, ça a été dit et repris partout dans les médias, et aujourd'hui on nous dit que nous avons mal compris. Je réponds que cela a été assez mal formulé pour qu'on ne comprenne pas, car si nous avions su qu'il n'y avait pas de dose supplémentaire, on aurait très mal réagi ! » A cela s'ajoutent des commandes de vaccins faites directement par des entreprises pour en faire bénéficier leurs collaborateurs, en dehors de toute considération de priorisation. « Lorsque la DGS a annoncé le principe de priorisation en septembre, les laboratoires auraient dû refuser de livrer ces entreprises même si rien ne les y obligeait », souligne le président de l'USPO.
En tout cas, les pharmaciens ont respecté la doctrine de priorisation des patients, selon les constatations du CNOP. Ce que Gilles Bonnefond confirme : « L'an dernier, 11 % des vaccins ont été délivrés à des personnes ne présentant pas de bon. Cette année, nous en sommes à 7 %, et il s'agit principalement du personnel des EHPAD et de l'officine, et de personnes bénéficiant d'une prescription médicale. » Pour sa part, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a eu vent de plaintes - ou de menaces de plaintes - de patients à qui des pharmaciens ont refusé la délivrance d'un vaccin parce qu'ils n'avaient pas de bon ou que les doses encore en stock étaient déjà réservées à des patients prioritaires. « Le courrier du ministre la Santé au sujet de la priorisation des patients a été publié dans le « Journal Officiel », cela lui donne un certain poids, rappelle Pierre Béguerie, président de la section A du CNOP. Toutefois, nous aurions préféré que cette règle fasse l'objet d'une loi ou d'un décret. » Sans jurisprudence sur le sujet, difficile aujourd'hui de savoir si une plainte adressée contre un pharmacien pour refus de vente de vaccin pourrait aboutir.
Trois millions de doses à venir
Le 22 octobre, lors d'une réunion au ministère de la Santé, les syndicats et l'Ordre des pharmaciens ont obtenu quelques précisions sur le nombre de vaccins qui seront livrés dans les prochaines semaines. « Les pharmacies recevront 3 millions de doses entre la semaine 44 (du 26 octobre au 1er novembre) et la semaine 48 (entre le 23 et le 29 novembre). Dès cette semaine, un peu moins d'un million de doses seront livrées aux officines, détaille Philippe Besset, président de la FSPF. À partir du 1er décembre, il ne restera plus que le stock de l'État, soit environ 2 millions de doses. » Un stock d'État qui n'existe pas encore puisque les négociations sont en cours, selon Gilles Bonnefond. Pour lui, au vu de la forte concurrence entre les pays, tant que ces vaccins ne sont pas arrivés en France, mieux vaut ne pas trop compter dessus.
Il regrette par ailleurs le manque de flexibilité des laboratoires pour accélérer les livraisons de vaccins aux officines. Mais Philippe Besset tempère : « Les laboratoires Mylan et Sanofi nous ont assuré que l'ensemble des commandes faites par les pharmacies seront livrées. Néanmoins, ces quantités ne suffiront pas à couvrir l'ensemble des besoins. Il faut prendre conscience dès aujourd'hui qu'il ne sera pas possible de vacciner cette année des personnes hors de la population cible. » Face à ce constat, Philippe Besset demande la parution d'un arrêté. « Aujourd'hui, le courrier de la Direction générale de la Santé (DGS) indique que les personnes qui n'ont pas de bon pourront être vaccinées à partir du 1er décembre. De toute évidence, cela ne va pas être possible. Il y a besoin d'une clarification qui doit passer, selon nous, par un arrêté. » Une demande à laquelle la DGS a, semble-t-il, été plutôt réceptive.
Cet hiver, les personnes qui ne peuvent prétendre aux bons de vaccination devront donc se contenter des gestes barrière pour se protéger de la grippe saisonnière. Pour l'heure, insatisfait de la situation, Gilles Bonnefond demande une réunion, dès janvier, avec les industriels, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens, l'assurance-maladie et l'État pour mettre en place ensemble la stratégie de vaccination antigrippale pour la saison 2021-2022.
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