Accélération des fermetures de pharmacie, perte de la densité du maillage officinal… La profession doit ces alertes aux cabinets comptables, aux transactionnaires, à Interfimo… Mais aussi, depuis quelques mois, à La longue vue. Un bureau d’études qui s’est donné pour vocation d’observer et d’analyser l’évolution des populations médicales et pharmaceutiques sur l’ensemble du territoire français. Il ne s’agit pas ici d’extrapoler les tendances à partir de panels, mais bien d’étayer ces observations sur des données exhaustives provenant des quelque 20 368 pharmacies françaises.
« Cela nous donne une vue globale encore plus fine sur les fermetures, les transferts, les regroupements, les rachats… et de fournir une vision plus précise sur les évolutions territoire par territoire », expose Marine Lombard, directrice générale de La longue vue qui s’appuie sur deux ans de collecte. Des chiffres colligés auprès des greffes des tribunaux de commerce, le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Boddac), l’annuaire de santé, le Fichier national des établissements sanitaires et sociaux (Finess)… qui fournissent une base permettant une lecture très détaillée du parc officinal. « Cette base de données n’est réellement exploitée que depuis le début de l’année mais ces indicateurs nous permettent d’ores et déjà d’accompagner les titulaires ou les futurs titulaires dans leur projet en en évaluant le contexte juridique et économique. » À titre d’exemple, sur les 450 projets évalués à ce jour par La longue vue, tous n’ont pas abouti car définitivement jugés non viables au regard des données fournies par le bureau d’études. A contrario, en cas de projet prometteur, La longue vue cède ensuite la main aux spécialistes de l’écosystème officinal : cabinets comptables (CGP, Extencia, KPMG…) et transactionnaires, mais aussi agenceurs.
Comment attirer des générations soucieuses de concilier vie professionnelle et vie personnelle dans des zones géographiques désertées par les services publics ?
Macro et micro
La dirigeante tire sa stratégie de son expérience professionnelle chez le panéliste Nielsen. « Dans la GMS, toutes les données sorties caisse au sein de toutes les typologies de magasins sont vendues au mois le mois. » Les données tant macro que micro désormais collectées par La longue vue permettent outre d’alimenter la base, de réaliser des cartes à très petites échelles. C’est ainsi que La loupe, l’une des activités de la société chargée de cette tâche, est capable d’éditer des cartes sur la densité médicale et/ou pharmaceutique. Et d’identifier les fameux « trous dans la raquette » et même de faire apparaître de véritables déserts. « Les flux que nous récupérons département par département et aussi par communes, révèlent à certains endroits une sous densité officinale qui alerte, de fait, sur l’absence de desserte en médicament », constate Marine Lombard.
Cette cartographie est un instrument dont s’emparent actuellement les instances de la profession dans le contexte de l’application du décret « Territoires fragiles ». Il devrait en effet permettre d’identifier ces zones. Au risque même parfois de tordre le cou à certaines idées reçues ! Car il arrive aussi que cette cartographie mette à mal certaines vérités préconçues. Ainsi, comme l’a récemment communiqué La longue vue, 1 022 communes françaises possèdent au moins un médecin mais aucune pharmacie. En retour, 855 pharmacies sont seules au village, c’est-à-dire sans médecin, donc sans prescripteur direct. Au total, rappelle la même étude de La longue vue, 26 169 communes sont sans médecin et 26 932 autres sans pharmacie sur le territoire. Pire même : 25 287 communes, soit 72 % des 35 083 communes françaises, ne disposent ni de pharmacie, ni de médecin.
Restructurer le maillage officinal
Ce recul de l’accès au soin qu’elle observe à travers ses statistiques ne laisse pas d’inquiéter Marine Lombard. D’autant qu’une autre étude publiée récemment par La longue vue fait état d’une accélération des fermetures d’officines. La période du 1er février au 1er août a enregistré 130 fermetures qui s’ajoutent aux 248 établissements qui ont baissé le rideau l'an dernier. L’année 2024 sera-t-elle marquée par une nouvelle aggravation ? Elle semble bien partie pour battre ce triste record : selon La longue vue, au 1er août, la France comptait 20 368 pharmacies (métropole et DROM COM) contre 20 498 au 1er février. En six mois, le réseau officinal a ainsi perdu 130 officines (fermetures) tandis qu’il a enregistré 151 transferts, 3 transferts extra-communaux et 2 transferts intra communaux ont donné lieu à 5 créations. Enfin, 382 reprises de pharmacies ont été effectuées, répertorie La longue vue.
Pour Marine Lombard, ces chiffres sont autant d’alertes sur la nécessité d’une restructuration du maillage officinal. « Si la pharmacie, dernier rempart de l’accès aux soins, tombe, il n’y a plus rien après. » À ce mal qui gangrène le territoire, elle entrevoit des solutions, les annexes de pharmacie, les aides aux étudiants… Mais elle ne peut faire l’économie d’un constat : comment attirer des générations soucieuses de concilier vie professionnelle et vie personnelle dans des zones géographiques désertées par les services publics ? C’est tout l’aménagement du territoire qui est remis en cause à travers ce constat. Aussi, au-delà de l’accompagnement des pharmaciens dans la réalisation de leur projet d’installation, Marine Lombard souhaite que les études de La longue vue puissent influencer les politiques de préservation du maillage officinal. « Nous sommes aussi en pourparlers avec les syndicats d’étudiants en pharmacie et nous souhaitons être influents dans les décrets, les lois… » Un lobbying désormais indispensable.
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